DERNIÈRE MODE À MUMBAI

Depuis quelques mois sévit à Mumbai une mode aussi kitsch qu’incompréhensible : beaucoup d’hommes se teignent les cheveux en roux orangé, se donnant ainsi une allure disgracieuse dans un pays où, pourtant, les couleurs sont reines. Car autant commencer par un détail sans importance. L’impression de gigantisme que procure une ville comme Mumbai, la première d’Inde et la neuvième du monde, est telle qu’on ne sait, de toute façon, par où commencer. Rentré avec ma petite équipe (dont je reparlerai) depuis mercredi, j’entame aujourd’hui un nouveau carnet de voyage. Il est destiné à mes amis, à mes compagnons de route, à nos hôtes là-bas, à mes enfants, à mon compère Denis Gabriel (qui dit justement que la géographie se fait à pied plutôt que dans les livres), à tous ceux qui par hasard cliqueront sur le site et bien sûr à moi-même, pour ne pas oublier. Les articles, comme à l’accoutumée, seront accompagnés de nombreuses photos. Je ne les légende pas à dessein ; en principe, le lecteur fera le lien entre ce que j’écris et les photographies, une manière sans doute plus stimulante de chercher à comprendre alors que, disons-le tout de suite, l’Inde est réputée incompréhensible pour les Occidentaux.
22 millions d’habitants, c’est la population de la zone urbaine de Mumbai, une sorte de longue péninsule bordée à l’Ouest par la mer d’Oman et à l’Est par la Thane Creek. De l’autre côté de la baie, Navi Mumbai prolonge la mégapole en d’interminables banlieues. 22 millions d’habitants… C’est-à-dire le tiers de la population française. À mesure qu’on avance vers le Sud la péninsule se rétrécit jusqu’au quartier historique de Colaba, la seule véritable zone touristique de la ville. Dans une superficie égale à deux fois celle de Marseille vivent ici plus de 12 millions d’habitants quand Marseille en compte 800 000. Voilà pour les chiffres. Évoquant avant le départ (article du 30 janvier) mon premier passage à Bombay en 2009, j’en étais resté à l’image d’un petit taxi jaune et noir dans une ville déserte. Caprice de la mémoire ! Comment peut-on imaginer cette ville déserte ?! Quand bien même les rickshaws seraient en grève comme lundi dernier (40 roupies la course – 25 centimes d’euro – étant jugées insuffisantes par les chauffeurs), la ville crève de ses embouteillages monstrueux, permanents, et d’une toxicité calamiteuse. La campagne, les rizières ne sont pourtant pas si loin. Mais il faut des heures pour atteindre des zones plus vertes, rouler dans le silence d’une piste. Nous l’avons fait au prix d’une grande patience et de quelques chansons de colonie de vacances.
Que voit-on ici, au bord des voies « rapides », des rues, des parapets croulants ? Une humanité grouillante, de hautes tours clinquantes, d’autres encore en construction, plantées comme des phares vaniteux sur une mer de bidonvilles, les fameux slums où les millionnaires ne courent pas les sentiers poussiéreux ou boueux. Depuis quelques années, le pont Bandri-Worli Sea link (près de six kilomètres soumis à péage) permet d’éviter de longer Dharavi, le plus grand bidonville du monde. Tout juste aperçoit-on, depuis le pont, le quartier de pêcheurs de Koliwada où voisinent une église et un temple. La ligne de chemin de fer, en revanche, rase les cahutes, les trottoirs où vivent les misérables. Prendre le train de Churchgate, au Sud, à Goresgaon où nous avons logé, au Nord, c’est voir, depuis les portes ouvertes du wagon, l’Inde de toutes les contradictions. Qu’on imagine des enfants faisant leurs devoirs dans la rue, d’autres proprets en uniformes de type british, des magasins Sony, des Mac Do ou des Pizza Hut, des cinémas plus ou moins luxueux ou miteux, un aéroport flambant neuf, des pharmacies vendant les pilules à l’unité, des vaches sacrées que rien ne semble devoir perturber, des amoureux enlacés sur Marine Drive, des pèlerins à Haji Ali Dargah, des quartiers de tôles hérissés de paraboles, des water tanks assurant la distribution d’eau, des engins pulvérisant des nuages d’antipaludéen, des femmes trimbalant leurs seaux, des hommes assis, debout, accroupis, allongés, marchant, courant, pissant, chiant, travaillant, dormant, et ce qu’ils soient roux ou non.
Mais voir n’est pas comprendre. Il faudrait du temps. Lire la presse, par exemple, si variée en Inde, « plus grande démocratie du monde » comme aiment à dire les dirigeants internationaux. Un article du Times of India, en date du 11 février, parlait de la Fête des Citrons de Menton, ma ville ! Cela m’a amusé. Est-ce à dire que l’Inde est ouverte sur le monde ? Je n’en suis pas certain. Elle va son chemin. Elle ne mendie pas et tient à son indépendance. En revanche, elle est prête à faire des affaires. Pendant notre séjour, l’état du Maharashtra, l’état de Mumbai, organisait une semaine promotionnelle : MAKE IN INDIA, MAHARASHTRA WELCOMES THE WORLD. La priorité est donc plutôt de faire venir les investisseurs, de montrer sa richesse pour attirer la richesse. Le Pepe Jeans Music Festival est fait aussi pour cela. Montrer que l’Inde est un pays moderne, qu’elle a ses stars et son standing. Sa créativité, j’y reviendrai, est en effet tout à fait admirable. Mais que vous ressortiez du périmètre lumineux et vous retrouvez les enfants des rues, les gisants endormis, les migrants des campagnes qui, en un flot continu, envahissent la ville après avoir quitté leur terre trop sèche, trop ingrate, insuffisante à les nourrir correctement. À l’heure où l’Europe est confrontée à un afflux de migrants, quand elle érige des murs à ses frontières, peut-être est-il bon de rappeler l’universalité des phénomènes migratoires ? En Inde, à Mumbai particulièrement, comme dans les plus grandes villes du monde (Jakarta, Manille, Lagos, Le Caire, etc.), le cortège famélique des migrants prend des proportions qui conduisent à relativiser les chiffres européens.

Or, en dépit de tout, un homme vaut un homme. On comprend au moins cela quand on voyage.

PS : pour les photos, cliquez puis faites défiler.

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