DE MARBRE ET DE CARTON

INDE 2016-32

Rendons justice aux promoteurs du Romell Group, ils ne font pas de publicité mensongère. Je l’ai cru pendant quelques jours, regardant d’un air suspicieux leur belle affiche pavoisée au 10 line Hightwey NH4, à deux pas du St Pius Complex de Goresgaon. Cette jeune femme à son balcon dominant un parc bucolique, je n’y croyais tout simplement pas. Et puis, à y regarder de plus près, quelle ne fut pas surprise de constater que le dit parc, avec sa coulée verte et son bâtiment distingué, c’était précisément l’endroit où je logeais avec ma petite équipe,  Premankur, propriété des FCM au sein du parc qui abrite également le séminaire St Pius (visible derrière le mannequin en sari) ! Ni une ni deux, je demande l’autorisation de monter dans les étages (échafaudages en bambous), je prends un ascenseur de service et, accompagné d’un sbire, me retrouve au vingtième étage dans un appartement encore en travaux (marbre partout, pièces très spacieuses, salle de bain et cuisine équipées) avec, on l’a compris, une vue imprenable sur mon lieu de résidence à Mumbai.

Le prix du mètre carré, dans certains quartiers, est paraît-il extravaguant. Il est vrai que la place manque, comme à New York ou Tokyo. Peut-être un signe que l’Inde progresse. Son taux de croissance était de 7,5% en 2014. Partout l’activité est trépidante et le gouvernement nationaliste fait de bonnes affaires avec les grands industriels. Une des plus grandes fortunes du monde, Mukesh Ambani, a financé une bonne partie de la campagne électorale de l’actuel premier ministre, Narendra Modi, et se voit accordés aujourd’hui tous les permis. Deux gratte-ciel, près de Malabar Hill, attestent de l’envergure de son empire et symbolisent la réussite d’un homme de (grandes) affaires, fort avisé ma foi. Pour le « reste », il suffit de se renseigner un peu pour tomber très vite sur des querelles de chiffres et de méthodes de calcul. Combien y a-t-il de pauvres en Inde ? Les experts ne sont pas tous d’accord. Qu’on me permette alors de répondre l’évidence : BEAUCOUP, en indiquant au moins un point indiscutable : avec 1260 000 000 d’habitants, l’Inde, devant la Chine, est le pays du monde le plus peuplé d’hommes et de femmes vivant sous le seuil théorique de pauvreté. À Mumbai 60% de la population vivraient dans des bidonvilles. Et les trottoirs de Colaba, au pied des bâtiments néo-gothiques de la Bombay coloniale, sont le refuge de familles entières, de jour comme de nuit, leurs pauvres sacs plastiques accrochés aux branches des arbres ou aux grilles de la voie ferrée. C’est de cette pauvreté-là, de cette misère si frappante pour le voyageur, dont se préoccupent aussi les filles du Cœur de Marie. Premier exemple : l’orphelinat Sainte Catherine quelque part dans Mumbai (je n’ai pas retenu l’adresse). La structure accueille 325 enfants, certains contaminés dès leur naissance par le VIH, et des femmes en détresse, battues elles aussi (comme à Vasai) ou anciennes prostituées. Le jour de notre visite, une histoire incroyable venait de se produire : une fratrie de trois orphelines reconstituée par le miracle des réseaux sociaux et des recherches sur Internet alors qu’aucune d’entre elles ne parlait la même langue (on parle en Inde vingt-deux langues officielles – en réalité beaucoup plus – dont le marathi, la langue officielle du Maharashtra.) Ce sont ces trois sœurs qui sont photographiées au début de l’album du jour. Second exemple, la Fondation Saint Vincent de Paul. Cet hôpital, situé à Trombay, existe depuis 1885 ; on y soignait alors principalement la lèpre. Aujourd’hui, une fille du Cœur de Marie est missionnée pour relancer la structure. 25 personnes atteintes du SIDA et 10 touchées par la lèpre sont soignées ici. Le gouvernement fournit désormais les médicaments contre le VIH (tri-thérapie); la lèpre, quant à elle, est contenue. Les malades peuvent vivre plus longtemps. Pour occuper certains d’entre eux une petite unité de production d’assiettes jetables a été mise sur pied par la FCM depuis son arrivée. C’est dans cet hôpital, on se le rappelle, que nos jeunes ont dansé.

Des tours luxueuses aux trottoirs misérables, du marbre aux assiettes en carton, voilà donc l’Inde telle que nous l’avons découverte. Un maelström qui emporte, met constamment à mal nos certitudes et stimule sans cesse notre curiosité.

Une réflexion sur “DE MARBRE ET DE CARTON

  1. Louis Bromfield parle de cette pauvreté qui n’est jamais culturelle, il évoque « la complication, l’incroyable beauté et la cruauté de l’existence humaine » et, à propos des Indes, il cite Matthew Arnold : « Entre deux mondes, l’un mort, l’autre impuissant à naître »…

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