Frère Xaxier, Tamoul aux allures de Robinson Crusoé, n’est probablement pas en odeur de sainteté. Je veux dire par là, d’après ce que j’ai pu entendre et voir, que cet ancien étudiant du College of social work Nirmala Niketan ne correspond pas exactement à l’image qu’on doit se faire d’un salésien. Pieds nus depuis toujours, vaguement baba cool, vaguement gourou (je parle de l’allure), le garçon tient les rênes du l’Institution Don Bosco Yuva Sanstha de Karjat (Sud-Est de Mumbai, à la campagne). En ce mercredi des Cendres, nous lui rendons visite avant de voir repartir en France notre bon directeur, Michel Lopez, plutôt allure de blues man blanc quant à lui.
On vient de loin et par le biais du bouche à oreille pour intégrer cet institut. Dans un pays où 50 à 60% de la jeunesse ne vont pas au delà de la 3ème, où certains villages n’ont aucune école, où les familles trop nombreuses et trop pauvres voient les parents mettre très vite leurs enfants au travail, Yuva Sanstha est une solution possible, une chance. Réservé à des garçons en échec et/ou très pauvres (tradition de Don Bosco), cet internat, soutenu par l’Institut salésien de Trente en Italie, a formé 1850 jeunes depuis sa création voici quelques années. 94% d’entre eux ont trouvé du travail sur l’ensemble de l’état du Maharashtra, sans payer de frais de scolarité, mais au prix d’une formation accélérée (trois mois) en climatisation, ferronnerie, électricité et mécanique. Une participation aux tâches d’entretien et de service permet le maintien en bon état des locaux et complète la formation, y compris en vaisselle. You work, I teach, tel est le deal qui semble largement respecté. Trois frères et trois enseignants travaillent en effet sur place, le fonctionnement général étant en grande partie géré par les étudiants eux-mêmes selon un système démocratique de répartition des responsabilités et des tâches. À voir les bonnes conditions de travail et l’état excellent des locaux, on peut se demander comment est financée la structure. Plusieurs solutions : réduction des dépenses inutiles, pas de salariés en dehors des enseignants, production et vente à partir des ateliers de fabrication, productions potagères, écotourisme (oui, oui) et dons. Avant ou après la messe (je ne sais plus), nous assistons à une sorte de conférence de Xavier sur l’écologie (théorie) puis visitons le jardin (pratique). La question, justement, est de savoir comment faire de l’écologie et du développement durable sans grands discours ? La Terre, qu’on s’en persuade, est la Big Mother. Dieu a tout donné aux hommes et il leur revient de prendre soin de ce qui est entre leurs mains. Entrer en contact avec la terre nourricière (les pieds nus), c’est la comprendre, la chérir et, en même temps, régénérer ses propres forces. Ce n’est pas le Serment sur la Montagne (Évangile lu par Pascale lors de la para liturgie avec imposition des cendres), mais il y a dans ce discours quelque chose d’habité. Le jardin, lui, est un enchantement. Frère Xavier, avec passion, nous montre les prodiges de l’irrigation inventive (drip and lateral irrigation). Puis, l’enchantement continue lorsque nous apprenons comment fabriquer de l’engrais naturel liquide à partir des détritus dont nous parlions hier. Ramassez un bon paquet de saletés dans la rue (vous trouverez, c’est garanti) ; ajoutez un litre d’urine de vache et un kilo de bouse fraîche issu du même animal ; mélangez le tout à dix litres d’eau et saupoudrez de 150 grammes de mélasse (sucre). Une fois la mixture couverte et placée à l’ombre, attendez cinq jours et rajoutez 100 litres d’eau. Avec ça, c’est sûr, vous cultiverez beau et bio.
Merci Frère Xavier !