Avril est la saison des mangues au Burkina Faso. Charnues, douces, juteuses, elles sont le délice des enfants. Lorsque nous arrivons à Kokoligou, le village est en deuil. Une fillette de dix ans s’est tuée en chutant d’un manguier. Notre ami, Dieudonné Hien, nous présente son frère, chef du village, qui s’excuse de ne pouvoir nous accueillir comme tous l’auraient souhaité : dans la joie.
L’hospitalité, en Afrique de l’Ouest, n’est pas un vain mot. Une fois bue « l’eau de l’étranger » (je reviendrai sur cette coutume dans un autre article), le voyageur est toujours bien reçu. Les présentations réciproques sont la règle et inaugurent toute conversation. Chacun prend des nouvelles des familles respectives, formule des souhaits pour l’autre, laisse un peu de place aux silences, avant que ne commencent les échanges, la palabre. N’importe quel Africain saura par ailleurs vous remercier d’être allé jusqu’à lui, d’être venu de si loin. La jambe, dit l’adage, est la daba qui sarcle l’amitié.
À Libiélé, les femmes de l’association « Lève-toi et marche » nous gratifient de danses et de chants. Toute la journée en sera rythmée. À Kari, nouveau lieu de résidence de notre ami Amadou Bakouan, la voiture se fraie un chemin dans la foule des enfants de l’école criant à l’unisson : « Bienvenue ! Bienvenue ! » Après la fête, nous visitons la mosquée. À Djindjerma, enfin, les habituels youyous accueillent notre délégation. La vieille dame que nous connaissons bien est toujours là, vaillante autant qu’il est possible, un modèle de résistance physique et un grand sens de la convivialité !
Ce serait une erreur d’interpréter ces festivités comme du folklore. Nous sommes certes connus et reconnus, remerciés pour l’intérêt que nous portons à nos hôtes. Mais il y a ici la manifestation plus ample d’une façon de vivre en communauté. Cela dépasse de loin le cadre anecdotique de notre court passage. Le regretté Michel Tournier l’expliquait parfaitement dans une de ses pages : tout d’abord, « dans ces pays, rarement un sourire adressé à un inconnu reste sans réponse. Il vous revient aussitôt, comme la colombe de l’arche de Noé fleurie d’un rameau d’olivier. » Puis, comparant la société occidentale d’antan et les pays dits sous-développés (on dirait aujourd’hui pays en voie de développement ) : « Il y a encore moins d’un siècle, l’Européen était lié par sa famille, sa religion, son village ou le quartier de sa ville, la profession de son père. Tout cela pesait sur lui et s’opposait à des changements radicaux et à des options libres. C’est à peine s’il choisissait sa femme, et il ne pouvait guère en changer. Et toutes ces sujétions s’aggravaient du poids des contraintes économiques dans une société de pénurie et d’âpreté. Mais cette servitude soutenait et réchauffait en même temps qu’elle écrasait. On retrouve cela aujourd’hui quand on voyage dans les pays dits sous-développés. Sous-développés ? À coup sûr pas sous l’angle des relations interhumaines.(*)»
Kokoligou, oui, reçoit bien les étrangers que nous sommes. Les visites donnent lieu à des fêtes. Des poules ou des pintades sont offertes ainsi que de la vannerie, des instruments de musique, toutes sortes de nourriture. Qu’une famille cependant vienne à connaître le malheur, et c’est le village tout entier qui communie dans la peine. On est ici ensemble, dans la joie et la douleur ; et nous, nous passons puis repartons, plus heureux d’exister, plus riches d’avoir appris.
(*) Michel Tournier, Le vent Paraclet, 1977.
Voilà un nouvel article, et ses précieuses et belles photos. Pour qui était là bas il y a quelques jours, cette série d’articles est un rendez vous fort attendu ! Merci Alain de mettre en mots, et si bien, ce que nous avons vécu durant ce voyage. Le thème de cet article, l’hospitalité, et l’attention portée à la relation humaine par les Africains en général, me touche particulièrement. Lorsqu’on revient du Burkina, c’est de cette chaleur humaine avant tout dont on se souvient, avec il faut bien le dire une nostalgie puissante, qui nous accompagne longtemps après le retour ! . N’idéalisons pas : la sujétion est bien présente aussi derrière ces assemblées et ces fêtes de village (les femmes dansent, préparent le repas, mais quand donnent-elles leur avis publiquement ? ) , Mais pour autant je ne suis pas sûre que Michel Tournier nous aide vraiment à mieux comprendre ce que nous voyons en le ramenant ainsi à du connu : les sociétés rurales européennes avant l’exode rural et l’anonymat des villes.
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