Les Balkans… Au-delà des origines complexes du mot lui-même, il y a quelque chose de cassant dans l’association des phonèmes, nous ne sommes pas loin du clash, des clans évidemment, de la fête de village pourquoi pas, quand celle-ci finit par tourner mal, qu’on se fout sur la gueule entre familles rivales, l’orchestre faisant des couacs, l’assemblée se dispersant dans l’odeur des pétards, de l’herbe et du foin, bref dans un bordel incompréhensible aux yeux de l’observateur extérieur quand bien même celui-ci ne serait venu là que dans l’intention de danser. Avant de partir pour ce voyage en Europe Centrale, je prends en cours une émission de France Culture. Les invités, dont je n’ai pu noter le nom, parlent des Balkans, zone d’un entre deux entre l’Occident et l’Orient, une céramique irrégulière de petits pays si mal connus parfois qu’il serait aisé d’en inventer un de plus. On trouve aussi cette allure de mosaïque en Amérique Centrale (chez le général Tapioca), dans le Caucase ou en Asie Centrale. Pour l’heure, Croatie, Bosnie Herzégovine, Serbie, Balkanie, Roumanie, Hongrie, Slovénie et même Italie dans sa partie julienne, tel sera mon itinéraire au grè des transports en commun. Peut-être voyage-t-on pour retrouver Tintin. La Syldavie (les gentils) et la Bordurie (les méchants) resteront évidemment en dehors du parcours mais combien de fois ai-je eu l’impression d’apercevoir le sceptre d’Ottokar ? À Sarajevo la station Otoka ne passe pas inaperçue pour un tintinophile et je n’ai pas manqué de photographier les bottes de paille si caractéristiques, le modèle du genre étant incontestablement celle qui, en bordure des pistes de l’aéroport de la capitale bosniaque, pouvait parfaitement amortir la chute spectaculaire d’un Tintin (ou d’un Tournesol) tombé du ciel.
La route entre Split et Mostar est magnifique. On longe tout d’abord la Méditerranée puis, du côté de Ploče, bifurcation vers l’intérieur, une région de canaux très verdoyante et fertile. Je reviendrai dans un autre article sur le passage des frontières ; pour l’heure saluons cette vieille américano-vietnamienne qui voyage par ses propres moyens et se rend en pèlerinage à Medjugorje, près de Mostar.
Mostar, première ville bosniaque du parcours, j’y arrive justement en fin d’après-midi. Cette cité industrieuse a été la cible des nationalistes serbes et croates en 1992 et 1993. La destruction du pont médiéval de la vieille ville fut le point d’orgue de la bataille. Or en Bosnie c’est aujourd’hui pile et face. Plus de vingt ans après le conflit (dont je reparlerai aussi au sujet de Sarajevo et de Belgrade), le pays est sur la voie du redressement. À Mostar l’Unesco a pris en charge la reconstruction – superbe – du quartier historique, à l’époque dernière poche de résistance des musulmans bombardés. Les monarchies du Golfe soutiennent également la ville par des programmes de réhabilitation. Face, donc… Mais quittez la rue piétonne, écartez-vous des boutiques de souvenirs (y compris ceux rappelant la guerre : « Don’t forget »), et vous trouverez – pile – les ruines, les stigmates impressionnants d’une guerre inouïe. En ce dimanche matin très calme mais venteux, ayant quitté ma chambre de 5m², je traîne à l’angle du boulevard Špansk et de Knevadomagoja. Un immeuble à demi en ruine se dresse dans le ciel sombre. C’est Sniper central, le siège d’une ancienne banque, avec son tourniquet d’entrée. Là des tireurs embusqués, tantôt serbes, tantôt croates (selon la progression du conflit), dégommaient les passants, comme au champ de foire. On a du mal à l’imaginer. Pourtant nombre d’immeubles comme celui-ci rappellent ce que fut cette guerre. Je discute avec un monsieur tentant de faire redémarrer sa voiture. Il doit avoir une soixantaine d’années, il a connu la sale période et me dit que l’argent manque aujourd’hui pour raser et reconstruire. En attendant les tagueurs ont pris possession des murs grêlés d’impacts. Un trou de roquette devient un œil ou une bouche ; des messages de paix affleurent du béton ; et un autre monsieur sans âge prend le frais à la fenêtre de son HLM (?), mitoyenne de la tour des snipers. Un dialogue silencieux s’esquisse entre lui et moi. Il ferme les yeux et il sourit.
Superbes photos Alain ! Je déguste le tout, photos et texte, ce dimanche matin. Comme toi, tout ça me fait bien sûr penser à Tintin, dont le Sceptre d’Ottokar est le premier que j’ai lu d’ailleurs, livre offert pour mes 6 ans, auquel je ne comprenais rien et qui m’effrayait. Mais les images, et cette atmosphère de Balkans de bande dessinée, s’imposent encore. Je pense aussi aux élèves…Dans toutes les bonnes résolutions de rentrée qui m’habitent encore ce 4 septembre (!), je voudrais terminer quelquefois un cours de géo, en leur montrant ces images. Je pense à ce qui reste de la guerre dans celles que tu montres aujourd’hui : on ne voit jamais la guerre APRES, et c’est ce qui me touche le plus dans ces photos, et que je voudrais montrer aux 1eres, notamment. (on étudie le siège de Sarajevo en histoire). Et entre les gens, comment ça se passe ? Mais il faut que je lise le reste. A bientôt, et merci !
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Merci beaucoup pour ce commentaire, Anne-Thérèse, et bonne rentrée à toi ! J’espère qu’on se verra bientôt pour parler d’Afrique, des Balkans et autres. Bises !
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Formidable article, plein d’humour et de véracité. Le début m’a fait mourir de rire. J’ai rigolé tout seul, assis sur un petit talus herbeux, tandis que me parvenaient par bouffées le brou ah ah de la fête du pain, événement local et annuel de Cordon haute-Savoie, quelques centaines de mètres plus bas. Personne ne s’y fout sur la gueule, nous ne sommes pas dans les Balkans ( Nous avons juste le couple Balkany qui se fout plutôt de notre gueule ). Je vais redescendre. Les fêtes de village, ça ne mange pas de pain.
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