La liaison entre la Serbie et la Roumanie s’effectue à partir de la petite gare de Dunav à Belgrade et il ne faut pas s’étonner que, jusqu’à Vrsac du moins, le train s’arrête dans chaque petit patelin. Nous sommes en quelque sorte sur les voies secrètes de l’Europe Centrale, les chemins de traverse.
Timisoara, capitale de la région du Banat, a la forme d’un œil, cerné des espaces verts où se déploient les campus universitaires. Au Sud, la rivière Bega en souligne l’arrondi et offre le loisir de promenades paisibles. C’est ici une Roumanie proprette, à cent lieues de certaines représentations péjoratives, culturellement développée et riche d’un patrimoine architectural, essentiellement baroque, d’une grande beauté. Les prospectus de l’office du tourisme indiquent que la ville a longtemps été occupée par les Allemands et qu’on la surnomme parfois la petite Vienne. Une jeune femme rencontrée par hasard alors que je rentre le soir à l’auberge m’explique que Timisoara est encore aujourd’hui très cosmopolite. Je suis frappé quant à moi par la présence de deux magnifiques théâtres à l’excellente programmation. Ainsi je songe à Ionesco et à Caragiale (qui a sa rue) mais surtout à Anca Dorosenko, professeur de ma fille Marine au conservatoire d’Antibes et metteur en scène de renom dans son pays : « Actor Stoudio , Maaaaaariiiine! Actor stoudio! » Vus de loin, les bâtiments bordant l’immense place Unirii me rappellent les décors irréels de Richard Peduzzi pour certaines mises en scène de Patrice Chéreau (Dom juan, en particulier); preuve sans doute que la clé principale du baroque est l’illusion du trompe-l’œil. À plusieurs reprises je me rends à la cathédrale orthodoxe des Trois Hiérarques postée comme une sentinelle à l’entrée du quartier historique. C’est une découverte pour moi d’observer, à différentes heures de la journée, le rituel orthodoxe, la manière dont les fidèles s’emparent de l’espace, embrassent les icônes, prient à la fois à l’unisson et dans une sorte de bulle de recueillement. Sur les marches de cette cathédrale, comme en atteste la plaque apposée en leur hommage par les marbriers vosgiens, de jeunes gens sont morts, fauchés par les balles de l’armée. En cette journée tragique du 18 décembre 1989, celle-ci n’avait pas encore pris le parti du peuple contre celui des tyrans. Il faut peut-être le rappeler, c’est à Timisoara en effet qu’a commencé la révolution roumaine. On retient, en France, l’affaire controversée et non encore véritablement élucidée des faux charniers, mais cet épisode masque l’essentiel : le courage d’une ville qui a su dire NON et le mérite de ses habitants entraînant derrière eux l’ample dynamique de la liberté, conduisant le pays tout entier vers la démocratie et le pluralisme. Un peu d’histoire… En 1989, plusieurs pays de l’ancien bloc soviétique ont déjà tourné le dos au passé communiste ; le mur de Berlin est tombé. En Roumanie la dictature Ceauşescu maintient encore sa chape de plomb. Timisoara, néanmoins, première ville d’importance à l’Ouest du pays, reçoit plus facilement les informations en provenance de Hongrie ou de Yougoslavie. La contestation couve et l’expulsion, pour raisons politiques, du pasteur protestant László Tőkés met progressivement le peuple dans la rue, toutes religions et toutes origines confondues. Du 16 au 22 décembre, la révolution commencée à Timisoara libère l’ensemble du pays et particulièrement Bucarest où, après dix minutes de procès, Nicolae Ceauşescu et sa femme Elena sont passés par les armes. L’Europe entière est devant les téléviseurs et je me souviens parfaitement comment, en cette période de Noël, un élan de sympathie, non dénué d’un certain romantisme, a emporté nos coeurs vers la Roumanie et son peuple. Révolution roumaine, petite soeur de la révolution française à deux cents ans près… Plus de mille morts furent à déplorer au cours de cette semaine historique. Allait s’en suivre, avec ses hauts et ses bas, le long apprentissage de la démocratie, jusqu’à l’entrée de la Roumanie dans la communauté européenne en 2007.
Aujourd’hui les terrasses de Piaţa Victoriei s’animent en fin d’après-midi; l’atmosphère y est à la fois calme et douce. Très peu de touristes. Des jolies filles. Je recommande la visite du mémorial de la révolution, dans un bâtiment photogénique. On apprend beaucoup sur l’histoire de la fin du communisme, sur cette époque cruciale (et aujourd’hui d’une certaine façon lointaine) qui avait pu laisser croire à « la fin de l’Histoire ».
À voir…
À te lire c’est aussi la faim de l’histoire…
J’apprends plein de choses dans ces chroniques bien enlevées. À suivre !
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Tu remarqueras qu’elles sont aussi bien élevées. Mais le plus important pour toi est le fait que ces chroniques te permettent de combler tes lacunes en géographie. La Balkanie, en particulier, mérite tes révisions.
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La petite reine de Balkanie de Marie Girardet.
Description du livre : Delagrave, 1924. Couverture rigide. État : Très bon. Édition illustrée. Paris, Librairie Delagrave, 1924. 2e édition. In-4, 240 pp., reliure pleine percaline bleue de l’éditeur, décor bleu et or sur le 1er plat, tête dorée. Illustrations en noir in et hors texte de Léonce Burret. Ouvrage couronné par l’Académie Française. Reliure lég. frottée, Intérieur frais, pas de rousseurs. Exemplaire joliment illustré, en très bon état. Poids livre : 1,540 kg
Quelle calomnie ! Non seulement la Balkanie existe (n’en déplaise au correcteur orthographique de Google, en l’occurrence un peu niais) mais il s’agit d’un royaume, au moins d’une principauté. Le livre (remarquable, j’en ai parcouru quelques bonnes feuilles : c’est du brutal) de Marie Girardet fait justice de ton scepticisme. J’attire ton attention, sans vouloir t’accabler, sur ces précisions presque superfétatoires : le bouquin, bleu et or, a la tête dorée, et il est couronné par l’Académie Française. En dire davantage serait cruel. N’en jetez plus, la Cour est pleine. Cette pauvre petite Reine, fraîche Sissi des Balkans, mérite tes excuses publiques. En tant qu’ami, je me contenterai d’excuses privées, mais plates.
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