BARLES LE GRAND TEMPS

« Mais en deçà des rangs de ceux qu’on a connus, aimés, honnis, pour certains, se dressent, à de certaines heures, des figures sans visage et sans nom, effrayantes, autres, dont il n’est pourtant pas permis de douter qu’on est elles, qu’elles sont nous.

La géographie est une discipline marginale. C’est la science des contrées retardataires, à l’écart du charroi de l’histoire. Que reste-t-il quand il ne s’est jamais rien passé ? Le caprice du relief, le couvert, l’activité routinière dont ils fournissent le patient décor, l’habitat maigrelet. »

Pierre Bergounioux, Chasseur à la manque, 2010.

« Ce qui dormait sous la poussière dans un meuble à vitrine, contre le mur du fond, venait de beaucoup plus loin. (…) C’étaient des armes à ce qu’on dit ; des harpons, des haches, des lames, qui avaient l’air des cailloux que le sol crache après les pluies d’orage, ce qu’ils sont aussi ; c’étaient les silex, les fabuleux silicates qui ont reçu les noms des patelins perdus et qui ont en retour chargé ces patelins d’un monceau d’âges, ont creusé dessous d’infinies catacombes. »

Pierre Michon, La Grand Beune, 1996.

Il y a chez des écrivains comme Pierre Michon ou Pierre Bergounioux cette obsession de l’épaisseur abyssale du temps. De siècle en siècle, leurs terres lointaines au-dessus de Brive sont restées comme au bord du monde. Et quand, aujourd’hui, vous y achèteriez par exemple des « Marlboro », au bar-tabac du coin, le sol de ces contrées vibre encore de la transhumance des rennes, ceux qui jadis depuis la mer « remontaient au printemps vers l’herbe de l’Auvergne. »

À Barles, l’ichthyosaure de la Robine, la dalle des ammonites et des nautiles, l’effraction de la montagne par les grandes clues donnent également le vertige, et même un peu d’effroi quand le temps de la chasse – octobre ou novembre, particulièrement lorsque les sumacs rouges virent au brun – rappelle la violence primitive, le sang séché dans les poils de la bête ou l’œil vitreux d’icelle. Que des calamars géants, des pieuvres (ou ce qui s’en rapproche) aient pu s’échouer ici, en profondeur, me rendra toujours songeur. Des pattes de mouettes (?) du Miocène ont même laissé leurs traces fossiles. Avec ça, le nom des anciens, sur les pierres tombales de Tanaron, s’effacent et sombrent dans l’oubli. Cela n’empêche en rien les vivants de s’échauffer. Prière de ramener la palette que tu as empruntée ! J’en ai besoin de ma palette, sinon la planète s’arrêtera de tourner !

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