LOMÉ NUIT ET JOUR

 

« Ils ont rencontré Justine à l’Hôtel du Golfe, une nuit sous les feuillages géants des caoutchoucs. Dans le vaste patio qui relie le hall de réception au bâtiment principal, un mélange bruyant occupait les tables près du bar, Africains, Européens, quelques Arabes. Un orchestre jouait du Hi Life.

Elle a apporté les sandwichs qu’ils ont commandés avec deux grandes bouteilles de bière, quelques sachets d’arachides. Après la chaleur de la journée, il fait presque frais, et Sonia, dans un geste rare ici, croise les bras et creuse les épaules.

Justine, ils la remarquent aussitôt ; c’est une jeune femme souriante. Le chemisier très blanc et la jupe de coton noir lustré lui donnent l’air d’une chanteuse de chorale, ce qu’elle est, dit-elle, à l’occasion, lorsqu’elle ne fait pas la serveuse, à l’Hôtel-Restaurant du Golfe. »

Cela, c’était de la fiction. Aujourd’hui, alors que l’ancien hôtel de la Paix vendu à Kadhafi menace ruine, l’Hôtel du Golfe de Lomé, lui, rue du commerce, a été racheté par un Libanais fortuné. Le patio a disparu (peut-être n’a-t-il jamais existé), on boit un verre sur la terrasse chic tout en haut de l’immeuble, et la serveuse s’appelle Rose, non plus Justine. Je tenais à ce retour au Togo. J’y avais vécu des heures fastueuses tant les complications de la vie ghanéenne, en ce milieu des années 80, nécessitaient de se refaire de temps en temps une santé dans un pays moins sujet à la crise économique, aux pénuries et au couvre-feu. Peut-on dire qu’aujourd’hui les conditions se sont inversées ? Le Togo, du moins sa capitale, semblent en tout cas plus modestes qu’auparavant, comme endormis. Ce n’est certes pas l’animation du marché, en plein centre, qui crée cette impression. Ici le commerce est roi. Chinois, Libanais et Haoussas se partagent le pactole, tandis que les Mamas Benz sont toujours là, allant négocier jusqu’à Dubaï des cargaisons de produits asiatiques de toute sorte. Le wax hollandais lui-même subit la concurrence de produits d’imitation et les vendeuses ont beau être très belles, il faut se battre avec elles pour négocier gentiment un boubou pour ses petits-enfants. Mais c’est plutôt la nuit, quand le même quartier devient fantomatique ; quelque chose du coupe-gorge entre l’hôtel du Golfe (où je dîne un filet au poivre devant Metz – Monaco) et l’hôtel Magnificat (où je dors malgré le remue-ménage de mes voisins Indiens). Le lendemain, Éric, mon chauffeur d’occasion rencontré à la frontière, me conduit jusqu’à Glidji et Aneho, hauts lieux du vaudou. J’apprends que si l’Epé-Ekpe, le caillou blanc, vire au noir, ce n’est pas bon signe. Des milliers de personnes viennent chaque année ici de toute l’Afrique de l’Ouest pour connaître les présages. Une bonne année de pluie ? Des récoltes abondantes ? Une catastrophe climatique ?… Nous sommes proches aujourd’hui du Bénin (deux ou trois kilomètres tout au plus) et du Nigeria, l’immense et dangereux voisin. En France on parle très peu de ce pays, inconnu en dehors des exactions de Boko Haram au nord. Mais le Sud-Est est aussi un enfer. Tout le delta du Niger subit la loi des bandes. Comme l’or par le passé, le pétrole rend fou. Éric, lui, s’arrête au bord de la route pour acheter du fuel de contrebande venu du Bénin. Trois fois moins cher qu’à la pompe.

En fait, je me dis qu’il faudrait quitter la côte et monter jusqu’à l’Atakora, prendre plus de temps pour comprendre et du même coup parler juste. Tout m’échappe ici, et je me souviens tout à coup que depuis mes premières visites au Togo la famille Eyadema est toujours au pouvoir, le fils ayant remplacé le père.

Demain, je retrouve le Ghana et Kofi à la frontière.

 

 

 

 

 

4 réflexions sur “LOMÉ NUIT ET JOUR

  1. Toujours un plaisir de lire ta prose nomade, en ces lieux que j’ai connus parfois agités, comme au moment des grèves de militaires impayés qui bloquaient les frontières. Une nuit de Nouvel An, venant du Ghaa, on avait dû faire rouvrir la frontière pour passer au Togo où nous étions attendus. Bakchich et tampons.
    De mon côté, ma prose sédentaire (Mélancolie du déluge ») est sous presse. Je t’en reparle…

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  2. Ah ! Les mamas Benz… Elles poursuivent leur activité d’abeilles butineuses (et ramènent du butin), décrivant des figures géométriques dans l’espace de leur négoce. Tu fais ton miel de ces rencontres et de ces retrouvailles. Ah je ne sais pas si vous avez remarqué Thérèse mais il y a une deuxième couche de souvenirs à l’intérieur ! Le poète aux semelles de vent revient toujours sur le lieu de ses rimes. Même le lecteur aux tongs de plomb y trouve son compte… Tout cela est très instructif.

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