SUD DU SUD

 

 

Je passe l’été dans la douceur, tranquille, au chaud, avec de l’amour et de l’amitié, rassuré, et puis en une nuit funambulesque, transitant par Lisbonne, l’Atlantique, les coursives de São Paulo, le ciel chargé du Rio Grande do Sul, me voici seul à Buenos Aires, hémisphère sud, au profond de l’hiver, sous la bruine ou l’averse. C’est le point de départ d’une longue remontée vers l’Équateur. Elle me fera voir toutes les couleurs, à commencer par ces gris et ces bruns bien mouillés que je retrouve aujourd’hui en triant les photos. Rien à dire, elles font aujourd’hui de la capitale argentine une ville étrange, qui aurait gardé ses distances, délestée du folklore éventuellement attendu.

Sur la Plaza de Mayo, les familles des disparus du sous-marin San Juan réclament justice. Dans une rue de San Nicola, une poubelle vomit de vieux papiers intimes, des photographies et des négatifs. Les immeubles flambants neufs de Puerto Madero s’enfoncent dans la brume de l’autre côté du quai. Consciencieusement je suis les indications de mon guide, cochant dans la marge les curiosités (la librairie de Avila, la pharmacie Estrella, les galerias Güemes ou Pacifico). Mais il me semble que ce guide a été écrit pour les beaux jours, il ne prévoit ni le froid de ma chambre, ni le nocturne auquel s’apparente pour l’instant mon voyage. Le vide de certains quartiers, est-ce une illusion ou bien ma propension à marcher là où il n’y a en principe rien à voir, et rien que je regarde et photographie ? Antonio Tabucchi parle « des places à la De Chirico où le temps semble absent ». Et il cite Borges, « les rues de quartier avec leur ennui paresseux, / presque invisibles à force d’être habituelles, / attendries de pénombre et de couchant… »

À moi, ces rues ne sont pas habituelles. Pourtant, comme il est souvent dit, Buenos Aires m’apparaît d’abord plus européenne que sud-américaine. Halls de gare, théâtres, librairies, antiquaires, restaurants, immeubles art déco ou haussmanniens; je complèterai demain ce premier article par un album rendant compte du caractère stylé de la ville quand on la considère depuis son centre. C’est peut-être en allant plus au sud, vers la Boca, que se perçoit davantage la latinité. Je marche longtemps depuis San Telmo pour atteindre tout d’abord le stade mythique (non celui de la finale de 1978, mais celui du club Boca Junior). La zone est envahie par les herbes folles, les maisons basses s’écroulent et les trottoirs sont en piteux état. Puis j’arrive au quartier Caminito, vieux faubourg portuaire qui tend vers le pittoresque en ravalant ses façades. Un couple danse le tango sur la terrasse d’un bistrot tandis qu’un rabatteur tente d’attirer les touristes. Dans un hangar se vendent des montagnes de bibelots, beaucoup à l’effigie de Maradona.

C’est l’Amérique du sud ? Sans doute, je n’ai pas rêvé. Mais j’ai besoin d’échauffement pour me mettre dans le rythme. Cinq semaines de voyage m’attendent qui m’aideront à prendre une plus juste mesure de ce nouveau monde. Au sud du sud, tout froid, tout humide, je n’en suis qu’au début, au bord. Et ces carnets, timidement eux aussi, comme sur la pointe des pieds, ne font que commencer.

 

 

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