NOUS ÉTIONS JEUNES ET (ASSEZ) LARGES D’ÉPAULE

 

Nous nous tenions fiers, à Miami, posant pour la première fois nos pieds en Amérique. Le voyage cependant n’était pas à son terme. De nouveau dans l’avion, il nous fallait maintenant traverser le Golfe du Mexique. Je me souviens du ciel s’assombrissant à travers le hublot gelé de la Pan Am, – une compagnie qui n’existe plus – et plus tard dans la nuit le survol interminable de Mexico, longtemps la plus grande ville que j’aie jamais visitée.

Nous étions en 1981 et bientôt Mitterrand prononcerait son discours de Cancun sur les relations Nord-Sud. En ce temps-là on parlait de Tiers-Monde, appellation qui n’existe plus vraiment non plus, et que Moustaki chantait : « Nostalgie du Tiers-Monde / Visage de la faim et geste de la danse / J’ai le mal du Tiers-Monde / J’ai le cœur en souffrance ». Lavilliers, lui, affichait un flingue sur la couverture de ses 33 tours tandis que – je reviens à mon propre voyage – la ville de Mexico m’était apparue éreintante, inconfortable. Je mis un temps fou à me remettre du décalage horaire et peinai à m’habituer à l’odeur de tortillas répandue partout, même dans les draps. Nous allâmes rendre visite au cousin de mes cousins de la Lame, un Sieur Félicien Mégy qui, comme beaucoup de Bas-Alpins, avait fait le choix de l’exil. C’était la première fois qu’un visiteur « barlatan » (je veux dire de Barles pour les non-initiés), qu’un Barlatan, donc, mettait les pieds chez lui. Dans mon souvenir incertain, il habitait une villa cossue de la banlieue de Mexico et collectionnait, comme ma sœur, les petites cuillères en argent. C’étaient le genre de choses, déjà largement dépassées, qu’on continuait de placer dans des vitrines, au même titre que les poupées type Esméralda ou les écussons de clubs de football. Puis, pendant un mois, nous parcourûmes le sud du Mexique, sans autre guide qu’une sorte de polycopié acheté à prix d’or dans une librairie spécialisée de Toulouse. C’était à l’époque le seul document disponible, un vénérable ancêtre du Guide du Routard. Ce dernier, paru tout récemment, brassait en un seul volume l’ensemble de l’Amérique du Nord et de l’Amérique Centrale, c’est dire… Nous n’en aurions tiré que peu d’informations. Les plongeurs d’Acapulco, la plage de Puerto Escondido, les rues d’Oaxaca (ville célèbre pour la qualité de sa turista), l’oublié San Cristóbal de Las Casas, la sinistre Villahermosa (du moins parce que nous y étions restés coincés pendant trois jours), Palenque, Uxmal, Chichén Itzá, tel fut approximativement notre itinéraire (classique) avant de passer quelques jours au Bélize voisin. Concernant ce dernier, je me rappelle avec une certaine émotion rétrospective le vol des poissons au-dessus de l’eau où nous filions, heureux, dans la mer mordorée des Caraïbes.

3 réflexions sur “NOUS ÉTIONS JEUNES ET (ASSEZ) LARGES D’ÉPAULE

  1. …Bandits, joyeux, insolents et (assez) drôles
    Vous alliez fiers vous accabler d’exotisme
    Vous essayer à l’un ou l’autre des rôles
    et fuir (assez, assez !) vos particularismes

    Sorti en 1977 :

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  2. Un ton fluide et naturel pour parler du passé aux épaules larges, et Boris Vian qui me souffle :

    Je voudrais pas crever
    Avant d’avoir connu
    Les chiens noirs du Mexique
    Qui dorment sans rêver

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