Il est possible que mon goût des paysages se soit forgé dans la petite enfance, disons à l’époque du CE1, passant le temps à feuilleter ce « Premier Livre » de Géographie, couverture jaune, par L. François et M. Villin, inspecteurs généraux de l’instruction publique, oubliés depuis, deux fossiles.
« Tout le monde est au travail : l’épicière dans sa boutique, le forgeron à son enclume. Jean entre en classe pour travailler lui aussi, mais tout au long du chemin, il a déjà commencé sa journée d’écolier : en regardant le pays et les hommes, il a, sans le savoir, pris sa première leçon de géographie. »
Sur la double page était représenté le même village à deux heures différentes de la même journée. Et je rêvais à la maison de Jean, là-bas, au bout de la route. J’étais Jean. Plus loin, page 9, c’était l’automne, page 17, la montagne, mais surtout, page 13, « La vallée, le plateau ».
Durablement l’illustration d’Henri Mercier devait me marquer. Va savoir pourquoi… Et c’est bien ce paysage à la fois plat et vertigineux que je retrouve aujourd’hui, alors qu’avec Manon, Simon et Florence, je pose mon regard sur le Causse Noir depuis le Causse Méjean. Entre les deux ? La tranchée profonde des gorges de la Jonte. Depuis Meyrueis elles se faufilent comme un serpent à travers le pays de Lozère. Je feuillette un ouvrage sur la bête du Gévaudan, regarde au loin vers la mer, et pense maintenant à Gérard, le compagnon des virées occitanes, le professeur de notre géographie.
« Le Massif reste une place forte de mes goûts de voyage et visites ! Régale-toi avec les beaux jours. »
Il ne m’en voudra pas de divulguer la teneur du texto qu’il m’a envoyé, en réponse à celui que je lui adressais depuis les hauteurs du Mont Aigoual. Ce Massif Central – et plus le sud que le nord – oui, nous l’avons parcouru, carte Michelin sous les yeux. Et si, comme on pourra le comprendre, ma manière de faire du kilomètre à quelque chose à voir avec la remontée du temps, il est tout aussi possible que ce road trip avec ma plus jeune fille, adorable coéquipière, m’ait ramené aux émotions lointaines d’une fin de journée d’été, quand, dans mon souvenir, le plateau calcaire avait pris une couleur dorée. L’heure du photographe, en quelque sorte, celle que choisirait par ailleurs Wim Wenders en 1991 au moment de tourner sur le Causse une des premières séquences du film dont j’empruntai le titre plus tard, pour mes propres modestes affaires : Till the end of the world.
Tout un programme.
PS : des pentes du Massif Central, nous avons fini par glisser vers la Méditerranée pour fêter aux Goudes de Marseille la fin de notre beau voyage.
Très heureux de lire vos moments de « bonheur en geographie », domaine quasi permanent de mon existence! De très grosses bises pour Manon
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Et merci à toi, Gérard, d’avoir indirectement contribué à cet article ! Bises !
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Merci toujours intéressant. Bises
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Je me souviens de ces moments de bonheur, lorsqu’enfant, mon idole Géo Trouvetou penché à mon oreille, je reconstituai la géographie du si beau pays de France.
J’avais tant de pièces escarpées, couvertes d’informations et de couleurs à ajuster de mes doigtes fins. J’en avais autant qu’il y a de départements et de préfectures. Je me pensais tantôt vidam, tantôt préfet, tantôt maire et, un soir par semaine, dans la plus grande salle de mes châteaux intérieurs, je donnais des bals où valsaient les plus fines fleurs locales des deux sexes. Avant même de lire Mme de Lafayette, j’ai eu l’émerveillement d’assister à la rencontre de Nemours et de Chartres alors que que les violons violonnaient leurs violonnades par dessus le menu des menuets dont on se servait pour s’éventer.
Mais revenons à mes pièces.
Quelles belles formes, quels bons parfums, quels harmonieux sons livrait chacune des pièces de mon puzzle ; quelle étonnante géométrie une fois toutes assemblées. Sous mes doigts, le puzzle avait fait la France. Quelle drôle de tête elle avait, de profil, avec ce long nez bretonnant, ses excroissances normandes et flandriennes sur la tête, cette encolure, du Sud-Est au Sud-Ouest, léchée par les coups de soleil, ventée par les arrivées maritimes. J’entrais en 6e au collège Saint-Félix, juste à côte de chez ma grand-mère, à Nantes. Ma professeure, la dure mais juste Madame Marguerite Bernard que j’eus la joie d’avoir aussi en 5e, m’enseignait à la fois le français et la géographie. Elle m’avait dit d’aller jouer avec Marcel et Lili sur le Garlaban, elle m’avait dit d’aller chevaucher depuis la Gascogne jusqu’à Londres avec les mousquetaires. Je me félicite de l’avoir écoutée et je lui adresse la reconnaissance de tous mes âges jusque dans ce cimetière d’Ile-et-Vilaine où elle repose en paix.
Mais revenons à mes pièces.
Le soir, chez moi, après avoir fini mon puzzle, la bouche de Loire, la bouche de Seine, la bouches du Rhône me susurraient une à une les intemporelles et folles histoires de leurs terroirs pour que je m’endorme en souriant, couché dans ma couche au couchant, aspiré par l’immense forêt profondes qui recouvrait, il y a bien longtemps, tout ce territoire d’Extrême-Europe. Je me souviens encore des forfanteries tombées de la bouche de Garonne :
« Elle a pas voulu la Gar(ç)onne ».
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Quel régal, ce commentaire ! Merci infiniment Vincent !
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Que dire après le commentaire de Vincent ! Même quand on est le coauteur fossile d’un livre de géographie… Cette géographie pleine d’histoire du beau pays de France.
L. François.
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Merci Alain et François mais vraiment, je suis désolé pour les coquilles.
J’ai été appelé en cours de rédaction et ai dû envoyer pour aller manger quelques bons produits du terroir, avant de me relire.
La cuisine, en famille, n’attend pas. Ou la cuisinière, Dieu m’en garde, serait fâchée. Disons donc que mes coquilles sont de Saint Jacques, comme dans l’assiette. De Saint Jacques et, pourquoi pas, de Compostelle aussi.
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Bonjour à tous.
Je me suis décidé à tenter une expérience.
Alain, j’ai évoqué dans un précédent message et sur un autre topic de ton merveilleux blog, le travail sur les souvenirs de petite enfance. Ce vaste « Programme de Géographie » m’a rappelé un extrait des petites aventures du gamin de 6 ans que je fus. Je vous le soumets et serais enchanté, tout en m’excusant de mon audace, que vous m’en fassiez la critique sincère puisque personne de littérairement averti ne me l’a encore faite. J’ai en effet besoin de savoir si ce petit pavé tient la route.
Alors, si le coeur vous en dit et avec humilité…
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Une année, une grande nouvelle vint bousculer les habitudes nantaises et vendéennes des vacances d’été des petits Manceaux que nous étions alors.
Les X. nous invitaient une semaine à Bidart (Pyrénées-Atlantiques). Ils avaient loué là un pavillon de chasse attenant à un château et nous pouvions planter une tente dans la châtellenie. Je me réjouissais de passer la semaine avec leur fille Boucles-de-Joues mais je déchantai assez vite. Elle n’était décidément pas la même quand ses parents étaient là. Elle était moins drôle, moins « à moi ». Tiens, finalement non, je ne l’épouserai pas. Si c’est pour que nous ayons tout le temps ses parents dans nos pattes, c’est pas marrant. Elle pouvait ne plus avoir peur du couteau à huître dont j’avais pris l’habitude de la menacer si elle ne m’épousait, quand nous serions grands. Et puis je ne me sentais pas d’atomes crochus avec sa sœur aînée Y., trop rationnelle et bien plus en phase avec mon frère Z., d’un an mon aîné. Tous les quatre, nous nous ennuyions dans ce pavillon et ses extérieurs très boisés dans lesquels nous n’avions pas le droit de nous aventurer. Il fallait rester à portée de vue alors que moi, justement, je ne voulais pas rester à portée de quoi que ce soit. Sauf, éventuellement, de Boucles-de-Joues. Et encore…: seulement si elle redevenait elle-même !
M. X. ne s’intéressait guère aux enfants et Madame, sur la durée et avec charge d’invités, n’était pas non plus la même qu’au Mans où les deux familles étaient, à l’année, voisines d’appartement. Quant à papa, maman, Z., ben je les voyais tous les jours…
– » Pfff, quel ennui ! » pensa finalement le privilégié que j’étais.
Les quatre parents se rendaient bien compte que la mayonnaise ne prenait pas, que choupettes et choux ne s’amusaient guère dans les rosiers et salades du pays basque. Alors ils nous prenaient avec eux pour aller faire les courses. La belle affaire : quoi de différent que quand nous y allions au Mans ? D’autres fois, tout de même, nous prenions les voitures et partions visiter ceci ou cela. Et c’était mieux.
Lorsque décision fut prise de remonter la côte à la découverte de la dune du Pilat, c’est d’abord la route qui m’impressionna. Nous traversâmes des kilomètres et des kilomètres de forêts landaises et, pour tromper l’ennui derrière les vitres de l’automobile, je m’imaginai tout seul au beau milieu de ces grands bois aux pieds plantés dans une étonnante terre sablonneuse. J’ai toujours cru au pouvoir des forêts profondes. Pouvoir maléfique ? Si tant est qu’il est maléfique de retourner à un état animal d’accord ; mais on peut tout aussi bien considérer ce retour comme régénérant. Jusqu’à certaines limites. Les limites… Ah, que ce concept commençait à m’agacer.
L’énorme étendue forestière, même traversée en voiture, n’en finissait pas d’ajouter des pins aux pins. M’éjectant du véhicule en pensée, j’avais impression bizarre que je m’animalisais. Je pensai à la sauvagerie qui s’emparait de moi et, dans la seconde qui suivit, je frissonnai sous le joug de la chaleur prisonnière des voûtes vertes des pins parasols qui faisaient toit immense. Sur un tapis d’aiguilles sèches et au milieu de champignons à l’agonie mon visage se déforma, mon nez se musela, mes dents crûrent autour d’une langue qui s’allongea sous, triangles orientables grimpées au sommet de mon crâne, des oreilles aussi pointues que poilues. Une force irrépressible me quadupedisa et j’étais bien stable, ventre à terre, jarrets tendus, le corps recouvert d’un pelage jusqu’au bout de ma queue discutable, truffe en l’air, la gueule aux aguets, prêt à bondir sur les enfants qui passaient, vitre ouverte, sur la route en voiture…
– » Nous sommes arrivés ! »
– (…) Hein… Comment ?
– » On est à la dune du Pilat ! »
– Ah… oui…
Euh, le peuple des pinèdes va-t-il aussi nager en mer, hasardai-je ?
– Il fait ce qu’il veut mais nous, non. Regardez : c’est drapeau rouge !
Coup d’œil à travers le pare-brise. C’était vrai. Eh zut ! pensai-je en descendant du véhicule après que l’on m’eut expliqué la signification des drapeaux et de leur couleur sur les plages. Ne restait plus que la balade à pied dans ce grand vent qui laissait tout le ciel d’un bleu dictatorial, hors le chiffon qui tranchait la démocratie de son rouge sang en haut du mât. Ses plis pétaradaient aux oreilles, sous les rafales que métallisait le cliquetis du câble le long du poteau. Pas un de nous n’avait songé, en quittant Bidart, qu’il allait peut-être falloir nous protéger de la puissance des souffles marins. Haletant sous l’effort de la pénible ascension au cours de laquelle le sable semblait se dérober sous nos pieds, nous n’avons pas pu, luttant contre l’haleine atlantique, arriver au sommet de la dune pour contempler la mer tant les bourrasques soulevaient et projetaient le sable, cette écume jaune du littoral. Bah : sable pour sable, je me souviens que pour redescendre de la dune depuis sa mi-hauteur, je me suis laissé tomber et ai roulé́ sur moi-même le plus possible, ivre d’un bonheur qui mourut quand, tout en bas, petit boudin gainé, je me relevai tout titubant, le corps criblé des minuscules calibres qui avaient pénétré jusque dans ma bouche.
Fantasmagories forestières ; sensation d’enfoncement dans les limons de la dune ; griserie de roulades dans une chaleur de Sahara ; bouche asséchée qu’on ne peut même pas ouvrir sous peine de manger du grain ; étourdissement par le vent sans même l’alcool de Haddock : je n’aurais pas tout perdu en sensations. J’avais pu me prendre pour Tintin dans le Simoun, errant dans cet oublié pays de la soif qui indiffère jusqu’aux crabes aux pinces d’or, sous les yeux desséchés de Boucles-de-Joues, mue pour deux heures en princesse recouverte de tissus bédouins. Dommage que, pour de vrai, il n’y eut de colonnes de chameaux, de coups de feu, de mirages, d’oasis, de faim qui tenaille, d’évanouissement pour personne. Ah si ! A peine installé dans la voiture des X. qui me ramenait à Bidart, désorienté par les éléments et ces émotions qui me tourbillonnaient l’intérieur, je me suis écroulé comme une masse, écrasé par un sommeil lourd, flottant dans les senteurs sucrées des pins que mes narines avaient expurgées de tout excès, ne me laissant plein la tête, yeux clos et bouche ouverte (quel spectacle pour Boucle-de-Joues, à côté), qu’une douceur d’évasion pleine de rêves que ma respiration soulevait sur la banquette arrière de l’Alfasud. Terrien en voiture, je devais sans doute me perméabiliser aux mânes d’un Théophile Gautier qui m’était alors inconnu :
On ne voit en passant par les Landes désertes,
Vrai Sahara français, poudré de sable blanc,
Surgir de l’herbe sèche et des flaques d’eaux vertes
D’autre arbre que le pin avec sa plaie au flanc,
Car, pour lui dérober ses larmes de résine,
L’homme, avare bourreau de la création,
Qui ne vit qu’aux dépens de ceux qu’il assassine,
Dans son tronc douloureux ouvre un large sillon !
Sans regretter son sang qui coule goutte à goutte,
Le pin verse son baume et sa sève qui bout,
Et se tient toujours droit sur le bord de la route,
Comme un soldat blessé qui veut mourir debout.
Le poète est ainsi dans les Landes du monde ;
Lorsqu’il est sans blessure, il garde son trésor.
Il faut qu’il ait au cœur une entaille profonde
Pour épancher ses vers, divines larmes d’or !
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Léo sur le littoral, je préparais également mes tympans à l’écoute bien ultérieure de la voix Ferré du piano pêché :
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Nous fîmes une autre escapade à Saint-Jean-de-Luz où nous assistâmes à une partie de ce très étrange sport qu’est la pelote basque avec ces incroyables chisteras prolongeant le bras des joueurs en forme de point d’interrogation. Ceints de rouge, vêtus de blanc, si leur économie de gestes m’éclaboussa par leur élégance, je ne compris rien à la comptabilisation des points sur laquelle, de temps en temps, M. X., bordelais d’origine, nous renseigna. A l’issue de la partie, nous sortîmes prendre des rafraîchissements à la terrasse d’un café. Sur cette grande place de la ville, nous autres enfants, tout excités par ce spectacle où nous avions dû rester assis longtemps sur des gradins de bois, eûmes bien du mal à rester sages.
De ce séjour dans le Sud-Ouest, je ramenai au Mans une paire de castagnettes dont je ne sus jamais convenablement jouer ainsi qu’un tiki-taka qui cassa longtemps les oreilles de tout le monde. Sans oublier, au grand soulagement d’une Boucles-de-Joues deux ans hantée par le couteau à huîtres, la décision, au bout du conte, de rester célibataire plus longtemps que prévu. Et je pensai à part moi-même que les petites filles a priori destinées aux petits garçons, à moins que ce ne soit l’inverse, ne devraient jamais avoir de parents : ils s’avèrent être parfois la ruine des amours enfantines dont peut-être, subsistent malgré tout, des années plus tard, quelques fécondités.
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Heureux que ce blog encourage à l’écriture ou en tout cas amène à exhumer d’autres textes comme le tien. Je te réponds en ms, mais d’ores et déjà sache que mon passage préféré est celui de ta métamorphose ! Et que les séductions de Boucles-de-jours (quel drôle de surnom !) me font penser à Romain Gary. Amitiés, Alain.
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Romain Gary ? Je prends, Alain, merci !
Me reste à trouver un soupçon de Blaise Cendrars pour être complètement heureux.
Je trouve le surnom « Boucle-de-jours » encore plus joli que « Boucle-de-joues », celui que j’avais donné à mon petit amour de maternelle mancelle (à cause de ses fossettes) et qui, hélas, n’a pas été à la même école que moi par la suite. Heureusement que pour nous retrouver, nous avions les mercredis et cette escapade dans le Sud-Ouest où sa famille finira par aller définitivement s’installer, à Bordeaux, me laissant au Mans, broyé comme du porc en rillettes.
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