

Encore un autre jour c’était l’hiver à Rio de Janeiro et le Christ Rédempteur du Corcovado n’apparaissait que par intermittence, comme s’il se refusait à la pleine lumière et s’amusait de ceux qui, comme moi, ne s’intéressaient à lui que pour sa photogénie. En matière de photogénie, je dois dire aussi que le Santo Antônio do Noto de l’Igreja de S. Francisco da Penitencia se pose là. Comme celle de Santa Margarida de Cortone et celle de São Luís, Roi de France, sa statue en bois polychrome est portée et vénérée dans les rues de la ville lors de la procession des Cendres. Il y a pourtant erreur sur la personne. J’apprends (*) que la confusion est fréquente au Brésil entre le Saint Antoine décédé à Noto (Sicile), qui était noir, et un autre Saint Antoine, en réalité Vivaldo, mort à San Gemignano (Toscane) ou à Caltagirone (Sicile), qui était blanc. Le premier venait d’Afrique et avait été acheté comme esclave musulman. Il se convertit sous l’influence de son maître et mena une vie de dévotion, en « esclave » du Dieu chrétien. Ses reliques, ramenées de Noto, se trouvent dans l’église Nossa Senhora da Expectacão de Rio et font l’objet d’un culte fervent. Le second était un riche seigneur vivant dans un luxe dispendieux. L’exemple de son directeur de conscience, le prêtre Bartolo de Picchiena, le conduisit cependant à changer de comportement. Il entra dans le premier ordre franciscain, mit sa vie au service des lépreux puis se retira et vécut en ermite. Lui aussi est vénéré au Brésil, particulièrement dans la somptueuse église S. Francisco de la Pénitence citée plus haut.
Le saint blanc que j’ai photographié était donc noir ; à moins de considérer que c’est une erreur de légende. L’affaire, quoi qu’il en soit, me semble caractéristique d’un certain mélange brésilien, appelé parfois plus noblement syncrétisme. Ce n’est que plus tard, une fois revenu en France, que je m’en suis aperçu : l’homme photographié le même jour dans le métro de Rio ressemble étrangement au Santo Antônio alias Vivaldo de l’église de la Pénitence. Mêmes sourcils, mêmes yeux exorbités, mêmes bouches. Seule la direction du regard diffère. Le saint tourne les yeux vers le Ciel, délaissant la vanité des choses humaines ici-bas. L’homme de Rio, lui, ne sait pas où il regarde. Il ne cherche pas. Il a la saudade, comme les trois autres personnes qui sont dans son dos, embarquées elles aussi dans le wagon de métro.
