
Encore un autre jour, un après-midi d’août 2006, j’ai passé un moment derrière la grande fenêtre de mon hôtel. Elle donnait sur un carrefour, une patte d’oie formée par le boulevard Émir Abdelkader, la rue Khemisti et la rue de la Paix à Oran. J’étais installé sur une sorte de rebord intérieur, le dos appuyé contre un mur, les pieds de l’autre, et la fenêtre était fermée, en raison de la climatisation. De ce poste d’observation silencieux – les bruits de la rue ne parvenaient pas de ce côté de la vitre –, j’ai fait une photographie dont j’ai obtenu le résultat plusieurs années plus tard. J’avais oublié la pellicule dans un tiroir et, ayant remis la main dessus, je l’ai fait développer sans savoir ce que j’allais trouver. À cause d’un prévisible problème de péremption, la photographie est sortie comme vieillie, avec des couleurs délavées ou fanées. À la regarder de près, j’ai constaté aussi que l’impression de vieillerie provenait de certains détails saisis par l’appareil ce jour là : la 4L, la guirlande et l’étoile filante (en plein été), les passants rappelant les figurines de bonshommes des maquettes de train, et bien sûr le bâtiment de la CPA de style néo-mauresque colonial.
Revenant sur cette photographie, je me souviens maintenant qu’en ce mois d’août 2006 à Oran, les journaux et la chaîne Al Jazeera, relayée par des milliers de paraboles disposées sur les toits, faisaient leurs unes sur les événements du Liban. Un déchaînement de feu dans le sud du pays et jusqu’à Beyrouth, populations déplacées, conflits de frontières, roquettes du Hezbollah, bombardements de l’armée israélienne… Une tuerie et son recommencement sans fin. Que pouvais-je comprendre de tout cela derrière ma vitre ? M’en suis-je seulement préoccupé ? Le bruit du monde, comme celui de la rue, on s’en préserve parfois, par souci de son confort, méconnaissance, quant à soi. L’itération du malheur ou nous révolte ou nous lasse.

