


« Rien n’a encore croulé. Je ne peux plus retrouver l’issue. Je descends, puis je remonte. Une tour-labyrinthe. Je n’ai jamais pu sortir. J’habite pour toujours un bâtiment qui va crouler, un bâtiment travaillé par une maladie secrète. »
Charles Baudelaire, « Symptômes de ruine », reliquat des Petits poèmes en prose, 1869.
Encore un autre jour, j’ai voulu revoir l’hôtel de la Paix à Lomé, mon chauffeur de taxi était étonné que j’aie une telle requête et lorsqu’il m’a déposé devant, avec l’air de penser que ces blancs sont décidément bizarres, j’ai découvert que l’hôtel en question était devenu une véritable ruine, un spot qui ravirait à coup sûr les amateurs d’Urbex. Nous avions séjourné là pour le réveillon de fin d’année 1983, éblouis par le confort des lieux, la qualité du repas de fête, comme en plein rêve d’une soirée chic où une cantatrice noire chantait pour nous « I wish you a merry Christmas » et autres standards des réveillons. Il y avait là aussi, dans cette impression d’exceptionnalité, une part de soulagement. Les frontières terrestres entre le Ghana où nous vivions et le Togo étaient fermées ; nous avions raté une première fois l’avion l’avant-veille parce que le vol de la Ghana Airways était parti… en avance (!) ; et par miracle nous avions pu reprendre des billets pour le lendemain. Cela a l’air compliqué, expliqué comme cela, mais tout était compliqué à cette époque dans ce coin d’Afrique, et on imagine bien la satisfaction et la surexcitation de se retrouver, en dépit de tout, dans une soirée un peu huppée, pour nous qui étions jeunes, sans trop de sous, et qui ne connaissions encore rien de la vie et du monde. Nous le savons tous, par la suite nous nous embourgeoisons, nous devenons difficiles, nous jouons aux habitués quand ce n’est pas aux blasés. Mais la belle assurance acquise s’effrite aussi peu à peu et, comme l’écrit Simone de Beauvoir à la fin de La force des choses, peut-être pouvons-nous nous dire parfois : « Je revois la haie de noisetiers que le vent bousculait et les promesses dont j’affolais mon cœur quand je contemplais cette mine d’or à mes pieds, toute une vie à vivre. Elles ont été tenues. Cependant, tournant un regard incrédule vers cette crédule adolescent(e), je mesure avec stupeur à quel point j’ai été floué(e). »
Si l’hôtel de la Paix était devenu une ruine recouverte de moisissure, c’est qu’un jour avait cessé son triomphe. Il en va ainsi. Je recommande la lecture de cet article (ICI) issu du site d’opposition 27avril.com. Un avant/après très intéressant.





