
Selon Alice, ancienne conseillère municipale – dont l’action, entre autres initiatives, consista à voiturer des personnes âgées jusqu’à la salle de cinéma la plus proche, du côté de Poissy (et ainsi faciliter l’accès de personnes sans grande mobilité à une vie culturelle plus animée) – selon Alice, donc, le vote à la présidentielle de 2022 à Feucherolles s’est échelonné en suivant la topographie de la commune : le haut, c’est-à-dire le plateau, pour Pécresse, le bas, c’est-à-dire la plaine qui s’étend jusqu’à Versailles au loin, pour Mélenchon, et la pente, qui relie le plateau à la plaine, pour Le Pen. Zemmour, me dit-elle, a fait ici chou blanc, et c’est finalement Macron – je m’en étonne au vu des explications précédentes sur le relief électoral – qui remporte la mise.
Ce sont les mystères des courbes de niveau. Si le quartier des hauts de Feucherolles correspond à l’idée que l’on se fait, à tort ou à raison, des électeurs de la droite traditionnelle (villas très cossues, golf, tennis privés, pratique du polo), il est plus étonnant d’apprendre qu’en bas, là où se déploient d’autres lotissements cossus (certes plus exigus que leurs homologues supérieurs), la France Insoumise tire son épingle du jeu. C’est probablement, m’explique Alice, une résurgence de l’électorat ouvrier qui existait jadis, du temps de la briqueterie. Quant au quartier intermédiaire, le « milieu » comme l’appelle l’ancienne conseillère, on se demande bien ce qu’il peut trouver à Le Pen. Certes l’unique café de la commune, près de l’église, a été repris par un couple de Coréens, mais on ne sache pas que le secteur présente les conditions habituellement favorables à un vote d’extrême droite, fût-il dédiabolisé et pour ainsi dire devenu respectable. Sacré Macron qui, façon de parler, a mis tout le monde d’accord (78,55%).
Quoi qu’il en soit, la petite ville, le gros village, le bourg, je ne sais trop comment dire, disons platement la localité mérite plus qu’un détour. En dépit de sa topographie étagée et de son hétérogénéité électorale (somme toute à l’image de ce qu’est la France aujourd’hui), l’unité des 2983 Feucherollais se fait peut-être autour de la statue de Jo Dassin, célébrité locale et consensuelle, ou bien autour de Sheila, autre people du coin avec Jean Monnet, ce dernier prêtant au collège son nom tout aussi prestigieux que contesté par ceux-là mêmes qui, du haut, du milieu ou du bas, ne jurent que par l’Europe des Nations et prêchent le souverainisme. Plus sûrement, à fréquenter, grâce à Florence, Alice, Nathalie, Rolland, Patrice (qui se partage entre l’est et l’ouest de Paris), Mary (ou Marie), Martine, Men Li, Denis, Dam’s, je perçois l’attachement des autochtones à un certain art de vivre, un entre-soi paradoxalement ouvert. Conscients de la tranquillité du site, les Feucherollais (au moins ceux que j’ai pu rencontrer) se savent privilégiés ; des Thélémistes, en quelque sorte, aussi exagérée que puisse paraître cette appellation à ceux, dommage pour eux, qui n’ont jamais mis les pieds dans la commune, entre forêt de Marly et plaine de Versailles.
Un de ceux qui ont fouiné à Feucherolles est le fin observateur Jean Rolin, sous le patronage duquel, si j’osais, je placerais volontiers ces nouveaux carnets de France. Il consacre quelques pages de son dernier ouvrage, La traversée de Bondoufle, à ses investigations pédestres du côté de la « route royale », entre Feucherolles et les Alluets. Nous y apprenons que le secteur, sous ses airs de pays de cocagne, recèle un centre d’écoute de la DGSE – prudemment flouté sur Google Earth – et pourrait par conséquent abriter un repaire d’espions. Très significativement, Florence et ses amis ne m’ont parlé de rien. De là à les soupçonner moi-même d’être des agents doubles, il y a un pas que je ne franchirai pas. Rolin parle aussi de la faune, comme à son habitude. Il observe, nombreuses, les traces de sanglier et aussi vanesses de l’ortie et vanesses vulcain, citrons, coqs faisans, chevaux, auxquels s’ajoutent des cyclistes, un joueur de polo snob et un ermite.
Je vérifierai lors de mon prochain séjour à Feucherolles la véridicité de ces allégations. Pour l’heure, me voici à rassembler quelques beaux souvenirs : la sortie matinale de Five, adorable chien, en forêt de Marly ; une soirée d’anniversaire ; un retour de Nanterre ; quelques repas sur le pouce et un très bon whisky.