RELIEF

Le long des routes de l’Estéron, Alpes Maritimes, le duo d’Entre deux et de La vallée du chant du monde s’est reconstitué le temps d’une journée d’automne. C’est un coin de France ou plutôt un recoin, signalé par les cartes au bout d’antiques départementales. Elles épousent le relief de versants complexes, profitant des lignes de faiblesse creusées par l’eau. À Puget-Théniers nous quittons la vallée du Var pour prendre plein sud, à travers la montagne. Par delà l’échine de la crête Sainte Marguerite, entrée dans le domaine confidentiel : s’égrèneront à partir d’ici les villages à l’écart, La Penne, Sallagriffon, Collongues, Briançonnet, pour ne citer que quelques-uns rencontrés au cours de la matinée. Sallagriffon, par exemple, se tient sur une petite hauteur, bien individualisée, entourée de prés et de bouquets de feuillus. Quelques maisons rassemblées autour d’une place. Personne. Alors que François s’interroge sur le sens du mot « pontis » (et met en doute mon exposé sur la foi d’une réputation de blagueur qui serait la mienne), nous croisons tout de même une habitante qui valide l’explication : un pontis est un passage sous une ou plusieurs maisons, comme vous pouvez le voir ici, messieurs. Agricultrice à la retraite, la dame occupe à l’année une maison adossée à la mairie. Ils restent à Sallagriffon une grosse dizaine une fois partis les estivants à la fin du mois d’août. Elle, depuis la mort de son mari, héberge sa fille et sa petite-fille. Nous n’en saurons pas plus.


Pour aller à Gars, ma foi, il faut le vouloir, quitter la départementale D2211 et s’engager sur la D84. Celle-ci descend rejoindre le cours minuscule de l’Estéron, non loin de sa source, et aboutit au village, sa rue principale en cul de sac. Garé tant bien que mal en face de la mairie (en tâchant de ne pas gêner la voiture de la poste en route pour sa tournée des villages), on poursuit à pied quelques mètres avant de découvrir la maison. Bâtisse solide, trapue, pauvre en ouvertures. C’est là que Célestin Freinet est né et a grandi au sein d’une famille de paysans. Sur la plaque du monument aux morts, un autre Freinet, est honoré. Vérification faite sur les registres, ce n’est ni le frère ni même le cousin. Célestin en est revenu, pas Eugène, d’une autre famille, mort en 1918 à l’âge de 21 ans. Au cimetière, la tombe du pédagogue, toute simple, fait face au clocher de la chapelle Saint Sauveur. La sacristie, ouverte, sans méfiance, recèle un bric à brac liturgique qui me rappelle celui de l’église de Barles.


Nous déjeunons à Saint-Auban. La Gargote, c’est le nom du restaurant.  Le soleil nous oblige à reculer la table. Lasagnes, daube de taureau, pain perdu, tout est fait maison comme aime à le rappeler le nouveau patron, venu des Charentes. Prêt, dit-il, à passer dans ces parages son premier hiver. 

La neige, pour sûr, tombera. Quelques kilomètres plus haut, ce sont déjà les Alpes de Haute Provence, le bien nommé village de Soleilhas. Nous ne nous arrêtons pas, préférant poursuivre vers ce décor étrange, « le stade de neige », digne d’un film de Stanley Kubrick ou, tout aussi bien, d’une steppe mongole. Nous sommes à plus de 1600 mètres d’altitude, dans une station de ski fantôme. De l’autre côté de la ravine par laquelle s’effondre brutalement la plaine alpine où nous sommes, c’est Ubraye, le col de Toutes Aures, Vergons, cette route mauvaise que détestait ma mère et qui pourtant, plusieurs fois l’an, nous conduisait vers Digne, la famille, les origines.


Mais aujourd’hui, il nous faut redescendre au sud, vers la mer. La théorie des villages perchés se poursuit : Le Mas, Aiglun, Sigale, Roquesteron, Conségudes… Aux Ferres, village qui semble vouloir échapper au vide, s’accrocher à la roche, une vieille nous dit profiter chaque jour des derniers rayons de soleil, sur son banc de la rue de l’Hubac. Depuis la place du château nous regardons au loin filer la route qu’il nous reste. Nous serons en surplomb quelques kilomètres, puis l’itinéraire plongera vers la rive droite du Var et ces localités de « banlieue » que sont maintenant Le Broc ou Carros. La nuit tombe quand nous y arrivons. Dans la voiture, musique et silence. Je ramène François dans ses beaux quartiers de Nice, puis je retourne à Valbonne où la place est à peu près vide. La morte saison commence et je ne déteste pas ce retour au calme des rues de mon village, chez moi.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s