CARTON-PÂTE

Nous avons roulé tout le matin, depuis l’oasis de Tinghir jusqu’aux premiers contreforts du Tafilalt. La route, par Alnif, est somptueuse. Peu avant Rissani un carrefour à peine marqué laisse le choix entre deux pistes. Nous prendrons tout d’abord à droite pour atteindre une première dune en pente, comme accrochée à la roche, puis à gauche où s’ouvre une voie royale, balisée de bornes blanches. Au loin, ce qui ressemble à un vaisseau de pierre est posé là, isolé au milieu de la platitude vide, mystérieusement. Nous sommes au Jebel Mudawwar, autrement nommé Gara medouar. Une légende transmet aussi l’appellation de « Prison portugaise ». Il faut imaginer une sorte de volcan dont les boursouflures ont été coiffées de remparts. En face de nous, au bout de la piste, une ouverture à demi ruinée conduit au centre du cratère. Quelques engins de chantier et, sur la crête opposée à l’entrée, un bateau échoué. Allons voir, grimpons. Au sol, à mesure que nous nous approchons de l’objet, des algues, des poissons, des crabes. Jean, téméraire, interpelle un quidam : « Bonjour. Vous tournez ? C’est qui, le réal ? » Ici on pourrait imaginer une belle scène de convivialité au milieu du désert, l’hospitalité due aux voyageurs, la cérémonie de l’eau, du thé à la menthe, que sais-je encore, une bamboula telle que la décrit Montaigne : « Retrouvent-ils un compatriote en Hongrie, ils festoient cette aventure : les voilà à se rallier et à se recoudre ensemble, à condamner tant de mœurs barbares qu’ils voient. » Mais non ! Faut pas rêver, le « réal » est occupé, il travaille, pas le temps de saluer le pékin moyen, et pour toute réponse à la tentative de fraternisation de notre Gros-Jean comme devant : « HEU, ON EST PAS EN TRAIN DE PIQUE-NIQUER… » Ben oui, c’est le monde du cinéma, le monde des initiés, l’aristocratie intellectuelle, faut pas confondre avec les ploucs que nous sommes, les péquenots ! Nous, les touristes, il ne nous reste plus qu’à redescendre en tâchant de ne pas glisser sur une daurade en carton-pâte. Ici, comprenez-vous, on a déjà tourné La momie et Spectre (James Bond). Et il y a fort à parier que notre réal prépare un nouveau chef-d’œuvre, un super-production apocalyptique, bien humaniste comme il se doit. Enfin bref, ne dérangeons pas davantage l’artiste ; il pond.

De retour à l’entrée du cirque. Un homme enturbanné aperçu plus tôt nous a attendus. Nous lui achetons quelques souvenirs (dont une belle bague). Il nous dit être Berbère. Il est malade. Nous lui donnons du Doliprane. Des cinéastes, il en voit de temps en temps. Ils s’installent, transforment la montagne en plateau et puis s’en vont. Ce n’est pas très bon pour ses affaires, ils n’achètent rien, ils découragent le tourisme. Regardez pourtant la beauté de ces fossiles, de ces murailles, de ce site mystérieux… Renseignements pris plus tard, l’occupation et l’aménagement de Gara medouar remonteraient au XIIè siècle. Peut-être, mais ce n’est pas encore attesté, une fortification destinée à protéger l’or des caravaniers non loin de Sijilmâsa, « glorieuse cité marchande » plus connue aujourd’hui sous le nom de Rissani. Les caravanes remontaient le désert depuis les royaumes sahéliens, Mâli et Ghâna, pour vendre or, bijoux, ivoire et esclaves sur les marchés du monde méditerranéen. Dans le périmètre fortifié, les archéologues passent parfois. Le touriste, lui, confond les vestiges millénaires et les « faux blocs de pierres en mousse expansée ». Chacun sa spécialité !

Une réflexion sur “CARTON-PÂTE

  1. Dans les années 1320, la caravane de Mansa Moussa empereur du Mali en route vers la Mecque, traverse le Sahara. Au Caire, l’abondance de son or en bouleverse totalement le cours. J’aime l’imaginer faisant étape dans votre ksar… merci pour le voyage !

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