Retrouvailles en 2007 : Amadou Bakouan, Dieudonné Hien, Anne-Thérèse Rendu.
Une fois n’est pas coutume, j’ouvre aujourd’hui les colonnes de Till the end à une autre plume. Qui en effet pouvait mieux parler d’Amadou Bakouan qu’Anne-Thérèse Rendu ?!
Février 2003, c’est mon premier séjour au Burkina Faso. L’abbé Dieudonné nous invite dans le village de brousse Fafo où il vient d’être envoyé par son évêque. Fafo, village sans eau ni électricité, dont Dieudonné ne parle pas la langue, où nous arrivons après nous être bien perdus, loin au-delà du goudron. Pourtant, malgré ce dénuement, Fafo est doté d’une école primaire.
C’est ce jour là que nous avons rencontré Amadou pour la première fois. Amadou, en réalité Amadou Kayoussou Bakouan. Il est ce jeune instituteur à la voix douce qui ne nous quitte pas de la journée. Élisabeth et moi discutons de tout avec lui en arpentant les rues du village : de pédagogie (il va bientôt passer sa certification, Philippe Meirieu il connaît, si on pouvait lui en envoyer un livre, il aimerait bien…); des attentats du 11 septembre 2001 (et on s’aperçoit qu’en pleine brousse il a été au courant avant nous, le matin même, on ne sait pas comment) ; de ses élèves enfin. Rares sont ceux qui poursuivent au collège, à 10 km de là. Il faut quitter le village, réunir les 25 000 francs CFA de scolarité annuels (30 euros), et les classes y sont encore plus nombreuses qu’en primaire. De loin il suit ses anciens élèves, les encourage, on comprend qu’il les soutient aussi matériellement à la mesure de ses moyens. C’est ce jour-là qu’est née l’idée des « parrainages d’Amadou », qui soutiennent une vingtaine d’élèves aujourd’hui. Et c’est ainsi que nous avons appris au cours de ce voyage d’avril 2016 qu’Amidou Dao, le plus ancien d’entre eux, devenu électronicien, vient peut-être d’être embauché chez Dafani, l’entreprise burkinabè de jus de fruits. Une date pour l’ASPA !
Avec Élisabeth Janin en 2007.
La photo qui ouvre cet article immortalise notre seconde rencontre avec Amadou, en 2007 cette fois. Depuis 2003 et quelques lettres, nous avions un peu perdu sa trace. Dieudonné avait quitté Fafo pour Diébougou et il s’était éloigné de son ami et partenaire de scrabble durant les longues soirées solitaires de Fafo. C’est sur la route entre Fafo et Djindjerma que nous avons tout à coup retrouvé Amadou : l’instituteur était devenu directeur de l’école voisine de Djindjerma et père d’un petit garçon. Je me souviens de l’émotion qui nous a saisis les uns et les autres après ces quatre années. Une rencontre miraculeuse, alors que nous pensions ne jamais nous retrouver !
Depuis, nous ne nous sommes plus perdus de vue. À chaque voyage, en 2010, 2012, et 2016 encore, nous retrouvons Amadou et Djindjerma. Les fêtes de Djindjerma restent mémorables : des danses, des haies d’honneur, des repas et des discours, tout le village rassemblé, comme on le voit sur les photos de cette année. Le nom de l’ASPA, en grandes lettres peintes sur le mur de l’école, nous accueille à chaque visite. Le projet s’est étoffé d’une cantine – une bonne assiette de semoule de maïs au beurre de karité – qui a multiplié les inscriptions à l’école, et qu’appuie maintenant un champ scolaire, plus aléatoire, cultivé par les enseignants et les élèves. Nos échanges avec Amadou ont suivi fidèlement les progrès de la communication en Afrique, bientôt les mails ont remplacé les lettres du début, puis sont venus les sms, nous avons même tenté quelques Skype, plus difficiles en raison des coupures Internet. Il y a aussi deux fois par an ces lourdes enveloppes kraft, toutes chamarrées de timbres aux couleurs brillantes, avec leur lot de lettres et de bulletins scolaires, de photos aussi, parfois ornées d’un « Bonne fête du Ramadan » au hasard du photographe.
J’ai demandé un jour à Amadou d’où lui était venue sa passion pour l’éducation, ce lien si fort qu’il noue avec ses anciens élèves. Ce que j’ai compris c’est qu’une année, pendant son enfance, son père le retira brusquement de l’école pour le confier à un oncle marabout responsable d’une école coranique dans une autre ville. Selon la tradition de l’enseignement coranique, il devint alors un petit « talibé », l’un de ces jeunes garçons comme on en voit dans les rues de Ouaga ou à l’arrêt des cars sur les routes, reconnaissables à la grosse boîte de sauce tomate qu’ils portent au cou, et qui doivent mendier pour le maître qui les héberge, les enseigne et les nourrit. Cette pratique ancestrale de la mendicité, censée enseigner l’humilité aux enfants, s’est aujourd’hui largement pervertie en Afrique du Nord-Ouest (*). Désespéré quant à lui, Amadou n’eut de cesse de convaincre son père de le reprendre et de le remettre à l’école publique. Je ne sais pas au bout de combien de temps il put finalement y retourner, mais il fut entendu. Est-ce cette expérience traumatisante qui a construit l’homme et l’ami que nous connaissons ? Difficile à savoir car Amadou, si proche à nos yeux des hussards noirs de la IIIe République, ne se livre pas souvent. Nous savons bien pourtant ce que nous partageons ensemble depuis plus de dix ans : la conviction que la connaissance et l’éducation libèrent. Une confiance commune enfin dans l’avenir du « pays des hommes intègres », tel que l’avait baptisé Thomas Sankara.
Amadou, homme intègre, notre ami.
A-Th Rendu
(*) Voir sur Internet l’article du Monde du 3 septembre 2007 : les petits mendiants d’Allah, qui décrit bien ce phénomène de nos jours dans les grandes villes d’Afrique du Nord-Ouest.
Et en 2016