« Je veux être au sommet du vide ». L’affirmation s’affiche en lettres de laine rouge brodées sur les ajours d’une balustrade dominant la cité de Consolat, dans le 15ème arrondissement de Marseille. Au Nord. Plus loin, d’autres déclarations : « J’exige des mots », « J’ai peur de mal construire mes rêves ». Édith Amsellem et Carinne Mina ont animé ces ateliers, des lycéens du coin ont projeté ainsi leurs désirs et leurs peurs et c’était un beau moment, me dit l’un d’entre eux, c’était dans le froid, nous avions mal aux doigts, mais c’est une fierté maintenant de revoir nos phrases rouges dans le quartier.
Il est 12h30, il doit faire 35°, et je veux savoir ce que sont devenus les anciens abattoirs de Marseille, en face du blockhaus (!), boulevard Ledru Rollin. Passée la curieuse tour de l’horloge, à droite on entre dans les bâtiments superbement rénovés abritant aujourd’hui l’École de la Deuxième Chance, la première réalisée en France sur fonds locaux, régionaux, nationaux et européens. Des allées ombragées où s’exerce un petit groupe de jeunes (ballon prisonnier ?) ; des coursives lumineuses ; le pendule de Foucault (ce qui me ramène, dubitatif, à la cité des sciences de Valence) ; de très belles charpentes… Deuxième chance, au moins, pour ce bâtiment jadis résonnant de toutes sortes de cris de bêtes.
Au lycée Saint-Exupéry, c’est le premier matin des interrogations du Bac et C. m’attend assise devant la porte, avec ses fiches sur les genoux, dans son tchador intégral. Elle est scolarisée dans un établissement catholique du quartier. Quand elle parle, elle est gênée par le vêtement qui remonte sur ses lèvres. Appliquée, scolaire, elle disserte sur Montaigne et La Boétie. Interrogée sur ce qu’elle a préféré cette année, elle répond « la séquence sur la femme, « L’héroïne romanesque entre vice et vertu ». » Et moi, tout en l’écoutant, je repense à La Boétie, à son Discours de la Servitude Volontaire. Il a beaucoup inspiré Montaigne jusque dans ce qu’il fait dire aux « naïfs » cannibales de Rouen.
Découvertes fortuites un autre jour. Qui étaient ces notables de marbres du cimetière Saint Louis ? Qui se souvient de cette belle fille FFI ? Où mène cet aqueduc traversant le quartier? Qui se promène parfois au parc Brégante ? Entre midi et 2, début juillet, personne n’est là pour répondre à mes questions. La ville est vide, semble-t-il. Et lorsque j’approche du restaurant rapide Le corsaire 2, la tenancière, debout sur la terrasse, a un mauvais regard vers moi. Je passe.
Au-dessus du centre commercial Grand Littoral (à peu près vide lui aussi), on ne peut pas manquer la nouveauté : les neuf lettres qui, façon Hollywood, vous rappellent où vous êtes, à M A R S E I L L E, au cas où vous l’auriez oublié. Opération promotionnelle, paraît-il, des producteurs de la série (ratée) de Netflix. À mon goût, c’est assez moche, soulignant l’aridité du secteur, la friche que constituent, misérablement, les contreforts de la colline de la Viste (nouvelle question : qui peut bien s’entraîner au parcours de santé déglingué, avec ses panneaux décolorés par le soleil et ses agrès rouillés ?). Au Leroy Merlin, j’achète un peu d’outillage et je retourne interroger. Quelles sont les surprises de cette ouverture d’En attendant Godot ? That’s the question !
Et c’est peut-être là au fond où je voulais en venir. J’ai remarqué que l’élève a laissé sur sa table une boîte à chaussures. C’est la fin de son oral et je lui demande : – Tu es venue avec une boîte à chaussures ? Tu t’es acheté des sandales ? – Non, Monsieur, c’est En attendant Godot, c’est mon décor. – Va vite chercher ta boîte, ça m’intéresse tu sais. Et timidement elle ouvre la boîte… Le décor apparaît… Ça sent le chocolat et, ça aussi, c’est une belle surprise.
PS : considérons que cet article est le premier d’une nouvelle série : mes CARNETS MARSEILLAIS.