Un orage est tombé hier soir sur Valbonne. Les colchiques bientôt couvriront les prés.
Khasab était peut-être l’endroit idéal pour terminer ce long périple (et par voie de conséquence la rédaction de ce carnet de voyage). Une curiosité géostratégique, un balcon désertique sur l’une des zones les plus sensibles de la planète, à deux pas de Bandar Abbas (Iran), là où les chèvres vont, indifférentes aux désordres du monde. D’une manière générale, j’aime ces zones improbables dénichées rêveusement sur les cartes. J’en ai déjà visité quelques-unes (par exemple cette région du Nord Togo / Benin, dans les environs de Natitingou, où on ne sait jamais de quel côté de la frontière l’on se trouve, se présentant devant un douanier que l’on croit Togolais alors qu’il est Béninois ou l’inverse.) J’adorerais traîner mes guêtres au bout de la Bande de Caprivi ou dans le Khakaborazi National Park, au Nord de la Birmanie, tout près des frontières indienne et chinoise. Gaston Rebuffat, l’alpiniste, écrivait que c’est au sommet de la montagne que l’on vient de gravir que naissent les idées de nouvelles ascensions. C’est la même chose pour les voyages.
Mon guide indiquait que le seul événement notable dans la vie communale de Khasab avait été ces dernières années l’inauguration du Supermarché Lulu. Voici comment Jean Rolin décrit l’établissement : « Dans l’attente de nouvelles instructions qui vraisemblablement n’arriveraient jamais, et après l’échec prévisible de ma mission auprès de l’émir de Sharjah, que pouvais-je faire, à khasab, sinon tuer le temps ? Par exemple, et afin de complaire encore à ce caprice de Wax, en poursuivant l’inventaire de toutes les choses, des plus infimes aux plus majestueuses, susceptibles d’être décrites, chacune dans sa catégorie, comme la plus proche du détroit d’Ormuz. Tâche d’autant plus immense, à Khasab, que la ville elle-même – à égalité avec Bandar Abbas – présente cette particularité, et donc aussi la plupart des choses qu’elle contient. Ainsi du distributeur automatique de billets installé dans le tout nouveau supermarché Lulu, celui qui vient d’ouvrir, près du port, sur un terrain remblayé, tant il est vrai que les Émirats n’ont pas le monopole de cette technique. Distributeur de billets dont je peux garantir qu’il est non seulement le plus proche du détroit mais également le seul, dans toute la ville, à être approvisionné régulièrement. »*
Je me suis quant à moi retrouvé en slip sur le parking du supermarché. Il ne s’agissait pas d’une soudaine crise d’exhibitionnisme (dans un pays où la pudeur est de rigueur et le streap tease sévèrement puni) mais de la nécessité de troquer mon short pour des pantalons longs, le plastique de l’habitacle de mon véhicule risquant de provoquer sur mes jambes d’habituelles et navrantes allergies cutanées (dermatose de contact). Compte tenu de l’affluence, ayant estimé nul le risque d’être surpris dans l’opération, je me suis donc changé pour entrer, en majesté, dans le supermarché. Apparemment à Khasab aussi la rentrée approche. Une montagne de cartables (voir photo) en atteste et, avec Jean Rolin, on admettra qu’il s’agit des cartables neufs les plus proches du détroit d’Ormuz, côté Péninsule Arabique du moins. Les clients quant eux étaient rares. Quelques ouvriers, quelques femmes revêtues du niqab… À noter qu’à Oman les traditions sont encore respectées et j’ai vu porté, par exemple, ce type de masque désormais très rare, le batoola. Pas question évidemment de photographier les femmes que j’ai croisées mais on se fera une idée grâce au mannequin du musée de Khasab installé dans les murs de l’ancien fort portugais.
Comment voit-on les choses à travers un batoola ? Je n’en sais rien… Pour regarder le monde, en ce qui me concerne en tout cas, il faudrait encore du temps, beaucoup de temps, mais voilà, les cartables du supermarché Lulu vont bientôt lester les épaules, toutes les épaules. C’est chaque année pareil. On recommence, on repart…
Bonne rentrée à tous !
* Jean Rolin, Ormuz, P.O.L., 2013.