MIGRAAAANTS EXPÉRIENCE, LE FILM

« Jouer » la migration quand on est adolescent ?… Dans mon nouveau film MIGRAAAANTS EXPÉRIENCE, François Bourgue, notre collègue d’Athènes, interroge la capacité du théâtre de montrer l’immontrable, de dire l’indicible. Ce qui l’intéressait, dans son projet autour de la pièce de Visniec, était la traduction avec les moyens limités de la scène d’une effroyable réalité. Le théâtre comme métaphore. Et en enregistrant son interview, je me suis dit qu’il me fallait tourner et monter le film dans le même esprit, en cherchant les moyens, cette fois cinématographiques, de parler sans la connaître dans notre chair de l’expérience de la migration. Le cinéma comme traduction poétique.

TATA

Avec Tata Lulu s’éteint une génération, celle de mes parents, de mes oncles et tantes dont elle était la dernière survivante. Nous devions aller lui rendre visite en décembre, dans sa maison de retraite. Nous ne l’aurons pas revue. Je pense à cet été 2013 où je l’ai photographiée dans son appartement de Malo-les-Bains. Ce nom, Malo-les-Bains, je le lui associe maintenant, même si je ne suis pas sûr que Lulu ait beaucoup prisé les bains de mer au cours de sa longue vie.

Qu’elle repose en paix auprès de Robert, le frère de mon père. En sa mémoire, Danielle et moi irons tout de même à Dunkerque en décembre. Nous retrouverons ses enfants, petits et petits-petits enfants.

PEOPLE OF MELBOURNE

Quelques portraits pris à la volée… J’ai retrouvé sans peine mes repères dans Melbourne que je visite pour la troisième fois en cinq ans. C’est une ville cosmopolite qui prend merveilleusement la lumière. Hier soir, je m’interrogeais sur la facilité qu’il y a ici à sympathiser avec les gens. Photographier plein cadre une jeune femme, un jogger, un homme-sandwich, un groupe de mamies russes n’est pas difficile. Le contact se fait très naturellement. Or je me demandais si je devais cette facilité à ma propre disponibilité en voyage (comme si, loin de mes bases, le fardeau des inhibitions était provisoirement déposé) ou si l’Australie était ce pays sans trop de peur, unifié par les différences d’un peuple… d’immigrés. Dans les deux cas (et il est probable que les deux explications se complètent), je me disais qu’il y a leçon à tirer.

ILIÈS ou LA PART FÉMININE

Depuis Oran, toute une journée, je suis allé visiter le djebel avec un chauffeur. L’atmosphère était détendue, les paysages magnifiques, et au bout d’un moment le gars s’est mis à parler, à se confier. Il s’appelait Iliès. Il m’a parlé de ses amours, d’une fille qu’il avait aimée et qui l’avait laissé tomber. C’était très émouvant de voir ce type raconter son histoire, me dire : « C’était l’amour de ma vie, l’amour de ma vie… J’ai failli me suicider. », et cela m’a rappelé le film d’Abbas Kiarostami, Le goût de la cerise, auquel je m’étais déjà référé dans un film précédent, Hiver, printemps et suite… Du coup, j’ai demandé à Iliès si je pouvais le filmer. Il avait un beau sourire, le sourire de la jeunesse, et il a accepté.

C’est ce long plan-séquence qui est à l’origine de la réalisation du film ILS en 2006. Au retour du voyage, l’idée m’est venue de filmer des hommes en train de parler des femmes, de leur expérience des femmes. J’ai contacté des amis, je leur ai parlé du projet, et nous avons tourné les interviews. Je leur ai expliqué que je voulais réaliser un film de paroles, autour d’un dispositif tout simple : laisser filer, sans a priori, pour recueillir ce que ces hommes pensaient de l’amour romantique – à supposer que cette expression ait un sens… Ils se sont tous prêtés au jeu de bonne grâce, chacun avec sa personnalité, ses vérités, sa pudeur.

De la masse considérable que représentent les enregistrements, j’ai tiré un film de 52 minutes, ajoutant en contrepoint des images, parfois mystérieuses, qui sont aussi ma façon de répondre, d’alimenter le débat. Il me semble que ce qui ressort le plus de toutes ces séquences, c’est la part de féminité qui existe en ces hommes et qui fait leur richesse. La montrer, cela aussi m’intéressait. Je posterai des extraits de ce film dans la catégorie « DOCUMENTAIRES ».

Pour en revenir à Iliès et à l’Algérie, voici un extrait du film. Ce jour-là nous avons roulé plus de quatorze heures, d’Oran à Tlemcen, puis dans des paysages désolés proches de la frontière du Maroc. C’est là qu’Iliès est  filmé. Encore une fois, ceux qui connaissent Le goût de la cerise de Kiarostami comprendront pourquoi je n’ai pu m’empêcher de penser à ce beau film. Pour ceux qui ne l’auraient pas encore vu, il est disponible en DVD.

Au retour, pour faire plaisir à ma mère, j’ai demandé à Iliès de passer par Sidi Bel Abbés. Mon père, dans sa jeunesse, y avait séjourné quelques temps.

Nous avons traversé la ville de nuit et j’ai appelé ma mère pour lui dire : « Je suis à Sidi Bel Abbés. » Je n’aurais pu lui faire davantage plaisir. Elle m’a demandé comment était la ville, de la lui décrire alors que, très honnêtement, je ne voyais pas grand chose. Pour elle, cette ville était toujours celle que le jeune homme avait traversée plusieurs décennies auparavant. Et c’était un peu comme si elle me demandait de retrouver le fantôme de mon père.

DAGARA

Les Dagaras vivent dans le Sud-Ouest du Burkina Faso aux confins de la Côte d’Ivoire et du Ghana. Ce groupe ethnique rattaché aux Lobis a découvert l’Évangile avec la colonisation dans les années 1930. Le documentaire DAGARA (30 minutes), réalisé en mars 2012 avec mes amis de l’ASPA, s’interroge sur la place que garde aujourd’hui la religion traditionnelle animiste dans les rites de passage chrétiens comme le mariage ou les funérailles. Il saisit et mesure le processus d’acculturation en cours dans la société et les familles. Trois personnes du village de Dano témoignent : Jean-René Dabiré, tailleur, cultivateur et responsable scout engagé dans l’Église catholique ; Yelcanibé Dabiré, tradi-praticienne qui nous invite à une de ses cérémonies ; Dominique Méda, enfin, prêtre catholique, curé de la paroisse de Dano et spécialiste de ces questions. Tous trois, à bien y réfléchir, nous interrogent sur ce que signifie, en Afrique ou ailleurs, « vivre ensemble ».

Quelques scènes du film, pour donner une idée. DVD disponible au prix de 15 euros au profit de l’ASPA.

LATRINES

En treize minutes, le point sur la question des latrines du côté des écoles de brousse à Diébougou (Burkina Faso). Ce court-métrage met au premier plan les acteurs du projet,  essaie de cerner le problème et d’envisager les solutions. A diffuser le plus largement possible. Merci !

Argument :

Au Burkina Faso, les écoles de brousse ne sont pas équipées en toilettes. C’est un facteur de déscolarisation des jeunes filles notamment, et un risque sanitaire majeur que les populations, avec les moyens du bord, cherchent à endiguer. Dans la région de Diébougou, une initiative est prise par quelques volontaires pour équiper dix écoles. L’ASPA soutient ce projet en récoltant des dons qui permettront d’aider à la construction des latrines.

Contact : ASPA (association pour le partenariat éducatif avec l’Afrique), 239 avenue de la lanterne, 06000 NICE

SOUDURE

De janvier à mai en Afrique Subsaharienne, la « soudure » est la période précédant les premières récoltes pendant laquelle le grain amassé un an plus tôt peut venir à manquer. C’est alors le temps d’une insécurité alimentaire croissante pour les plus vulnérables. Recueillis en mars 2012 au Burkina Faso, les témoignages réunis ici évoquent les difficultés d’une année où, par manque de pluie, la soudure s’annonce difficile. Une réalité cruelle qui s’avère pourtant fort éloignée des représentations dominantes et médiatiques de la faim.

Le documentaire est donné dans sa version intégrale.

MATIN DE TOMPÉNA

De tous mes souvenirs d’Afrique, c’est l’un des meilleurs. La veille, nous avions retrouvé Lazare sur le bord de la route et je le revois encore enfourcher sa mobylette pour conduire le groupe jusqu’aux ruines de Loropéni. Nous les avons visitées à cette heure que j’aime tant, au moment où ça vire en quelques minutes vers la non couleur, au son inquiétant du moustique vorace. Il faisait tout à fait nuit lorsque nous sommes arrivés à l’hôtel et j’ai cru que Valentine allait faire un malaise. Son père s’en inquiétait ; le remue-ménage était général au moment de se partager les moustiquaires, les lampes torches, les bouteilles d’eau. Puis, j’ai salué le groupe pour suivre Lazare jusqu’à Tompéna où le lendemain était prévu de tourner le film très tôt, avant que le soleil n’écrase tout. Il m’a montré la chambre, nous nous sommes dit bonne nuit et au moment de me dépoussiérer à l’aide du seau qu’on avait préparé ma lampe est tombée en panne. Dans le noir, j’ai cherché en vain mon briquet puis j’ai fini par me servir de l’écran de mon téléphone portable. La douche serait donc rudimentaire.

La photo d’aujourd’hui a été prise au tout petit matin, après une nuit de sommeil lourd. Je me suis levé dans l’obscurité et suis sorti devant la baraque, en faisant une vingtaine de pas en direction des arbres. La Lune brillait encore un peu et j’ai attendu le moment du jour naissant, le début du monde. Au silence de la nuit succédaient maintenant une vague rumeur, les premiers craquements. Derrière moi, le faisceau de la lampe de Lazare dansait encore sur les murs et très vite nous sommes partis tous les deux vers les étables et les maraîchages. Le ciel changeait au-dessus de nous, les jeunes fermiers s’activaient déjà et j’ai pu commencer le tournage. Il devait être six heures du matin et ce n’est que vers neuf heures que nous sommes revenus là où nous avions dormi, pour prendre le petit-déjeuner. Je me souviens du café, de la confiture, du pain sans mie. J’ai continué de filmer celui qui m’avait reçu. Et puis je l’ai remercié.

On trouvera maintenant ici le début du film. Son but, au moment du tournage, était de rendre compte d’une entreprise exemplaire de formation, pour le  développement d’une agriculture durable dans une région exposée aux risques de l’appauvrissement des sols et de l’immigration des populations locales.