DU RÉPIT À HELSINKI

Nous quittons la Finlande archipélique (ne perdez pas votre temps à vérifier l’existence de ce mot, je viens de l’inventer) pour sa capitale, Helsinki, et ce en bus plutôt qu’en train comme nous l’avions prévu. Les photos ci-dessus résument assez bien cette transition du voyage : flottement à la gare ferroviaire de Turku, attente au terminal des bus, premières images des abords d’Helsinki, arrivée tardive et attente au drive de Mac Do, l’endroit le plus sale de la Finlande.

Le lendemain.

La suite du diaporama permet de se faire une idée de la remarquable richesse architecturale de la ville. La gare de Kamppi, pavoisée cet été aux couleurs de l’Ukraine et du club de football local, donne un premier aperçu du goût des Finlandais pour l’art nouveau. À deux pas, la chapelle luthérienne du silence conçue tout en courbes par le trio Summanen, Lintula, Sirola évoque irrésistiblement la douceur d’un alvéole. Le bois (aulne, frêne, épicéa) repose, réchauffe, rassure. On se surprend à épouser sensuellement les murs tout en regardant vers le haut. Poursuivons. Passé Lasipalatsinaukio (je ne sais au juste s’il faut employer le féminin ou le masculin, peut-être ni l’un ni l’autre), et une fois traversée Mannerheimintie, nous voici dans le quartier commerçant. La Samaritaine locale se nomme Stockmann, vénérable institution depuis 1862. Princesse Isabelle cherchera longuement une robe verte puis hésitera entre la pantoufle et la basket, toutes deux d’un jaune citron qui lui va bien. La visite d’Helsinki passe également par ses marchés, couverts ou non, ses commerces de bouche (quelque chose de rond et d’appétissant dans cette expression) où le touriste sudiste s’extasie devant la viande de renne, le saumon sous toutes ses formes, les tartes (piirakat) fourrées. João, toujours lui, sera mis sur le coup pour nous fournir la recette en vue d’une future réception finlandaise. Un peu de musique aussi ? Rendez-vous au pied de l’escalier monumental de la cathédrale. L’hamima tattoo est un festival international de musique militaire : enthousiasmant, avec mention spéciale pour l’orchestre des forces de défense finnoise. Lorsqu’il se débande, laissant vide l’esplanade au pied d’Alexandre II de Russie, le chemin de la cathédrale orthodoxe et des anciens docks s’offre au plaisir d’une nouvelle promenade. Helsinki est une ville baltique. À Laivastokatu attendent en été les brise-glace qui l’hiver dégageront la voie maritime vers Saint-Petersbourg. Une fois restaurés au marché de Kauppatori (soupe au saumon, pomme de terre et aneth), nous voici bientôt rechargés comme une valeureuse voiture électrique. Cet après-midi, nous ne manquerons pas la sublime église Temppeliaukio, écrin de granit en forme de tumulus, puis, ce seront les quartiers du sud, jusqu’à la plage Eiran ranta et les quais. Nous dégustons notre désormais rituel verre de vin blanc ; il fait très bon, la vie est facile, légère pour peu qu’on ignore le train des choses, la guerre qu’on nomme dans le grand pays voisin « l’opération militaire », tout ce qui n’est pas de l’ordre des vacances, du répit, de l’oubli, bref la réalité du monde comme il va, en l’occurrence, si on y pense tout de même entre deux gorgées, peut-être bien dans le mur.

SAUNA

J’ignore où se sont volatilisés en quelques minutes les passagers du ferry. Le temps de déposer nos bagages à la consigne, nous nous retrouvons quasiment seuls à la sortie de la gare maritime. Des policiers contrôlent une troupe de quatre ou cinq roumaines reconnaissables de loin à leurs baluchons, jupes immenses et fichus colorés. Chargés de plusieurs valises, une jeune femme et ses trois enfants remontent avec nous l’interminable quai de la rivière Aura. Il est très tôt. Nous sommes à Turku, Finlande.


Cette ville, c’est mon ami Marc Merienne qui, le premier, m’en a parlé un jour. Nous projetions alors un tour de la Baltique. Trente ans plus tard, c’est João qui y fait ses premières armes de cuisinier international. Et c’est aujourd’hui, en cette matinée lumineuse de juillet 2022, que nous parcourons, Isabelle et moi, les rues larges et vieillottes de son centre, signalées en jaune dans Google maps. La visite du quartier-musée de Luostarinmäki nous a donné l’idée de ce que fut la ville avant le grand incendie de 1827. Comme souvent après un désastre, la ville a été reconstruite dans un souci d’efficacité géométrique qui exclut la fantaisie. L’influence soviétique, encore perceptible, ajoute à cette impression de ville rationnelle et grise. Nous ne nous attardons pas, ce qui est sûrement une erreur.


Tout à coup, en lisière d’une forêt de sapins et de bouleaux, la silhouette est apparue, massive, idéalement éclairée par la lumière d’après l’orage. L’élan, une femelle, nous regarde, peut-être moins surpris que nous le sommes nous-mêmes. J’en éprouve une joie enfantine. Au Canada, l’été dernier, nous n’avions pas vu l’orignal. C’est aujourd’hui chose faite, un an plus tard, le changement de nom s’expliquant par le changement de continent.


Toute la journée le ciel a été capricieux. Lorsque nous retrouvons la petite plage de Pikisaari repérée la veille, la grêle a tapissé les rives et une brume stagne, transpercée de soleil. Des jeunes occupent le sauna. L’un d’entre eux balance régulièrement de l’eau glacée sur le poêle à bois et la vapeur s’intensifie. Une fois dégoulinant, il est temps de se jeter à l’eau, de nager dans cette eau revigorante du golfe de Botnie, jusqu’au radeau. Dressons-nous alors sur ses planches, et goûtons un instant la fraîcheur de l’air sur la peau raffermie.


De quoi nous donner faim. Le restaurant-guinguette Merimaskun rantamakasiini, au bord du labyrinthe d’eau, est le seul établissement ouvert à des kilomètres à la ronde. Une clientèle d’habitués y déguste des fish and chips et trinque au bonheur de l’été. Nous sommes les seuls étrangers, regardés avec sympathie lorsque, pas plus doués l’un que l’autre, nous nous décidons à rejoindre les couples de danseurs. Le rire d’Isabelle, cette complicité depuis des années… Après quoi, promenade sur le ponton et jusqu’à la pompe à essence. Quelques barques passent sur le chemin du retour à la maison. Il fait bon. La journée a été belle et les photographies aideront à en conserver le souvenir. Pour l’heure, notre refuge nous attend, sur la route d’Askainen, une ancienne école que Kaisa et son mari retapent patiemment depuis quelques saisons déjà.