Novembre 2018. 18h. Quelque part, aujourd’hui.
Faisons le vide. Respirons lentement. Fermons les yeux…
Essayons. Imaginons.
Nous sommes à Delphes. La Pythie va parler…
Ce que nous ont laissé les architectes et les sculpteurs antiques ne prête guère à sourire. Colonnes hiératiques, marbres froids, gueules cassées, visages graves de la conscience de nos faiblesses et de notre finitude (nous nous trompons, nous souffrons, nous vieillissons, nous mourons).
Mais au détour d’une salle de musée nous voici comme soulagés de croiser le sourire d’un kouros. Il nous surplombe de plusieurs mètres, se dresse dans son éternelle complétude, trop beau pour être vrai mais pour nous, mortels, presque amusant de perfection.
Aux Météores, tout se présente comme un chemin jalonné de stations. La plaine d’abord, puis, vers Kalambaka, d’immenses échines de sable concrété se découpant sur le ciel. Il y a les nuances de vert et il y a la roche, l’un ou l’autre, et bientôt se profilent les monastères, comme des sentinelles perchées sur un rempart. C’était jadis le refuge des anachorètes. Ils sont représentés sur les fresques des églises. Mais pour y parvenir, encore des étapes : la route tortueuse, le parking colonisé par les marchands du Temple, le pont-levis, les escaliers, le guichet, enfin les lieux de la prière. Une première salle de nos pas perdus – le narthex -, une autre où se déploie la bande dessinée du Jugement Dernier, une autre encore pour la Passion, enfin la dernière salle, exiguë, accessible aux seuls moines s’y recueillant une fois disparus les visiteurs bruyants.
La Foi serait donc un chemin.
À Ossios Loukas, le vent se lève, le ciel se charge de nuages et mon noir et blanc dramatise l’atmosphère. Je pense à la petite église orthodoxe accrochée à la crête de Facibelle, à l’ermite de Barles. Parfois il descend dans la vallée par le chemin pentu et au grand plaisir de mon ami François nous l’avons croisé l’autre jour. Il allait récupérer sa mobylette dans un coin (cachée dans des fourrés ?) et il a décliné poliment notre proposition de le prendre en stop. Nous avons sans lui poursuivi notre route.
« Tout ici, aujourd’hui comme il y a bien des siècles, chante l’illumination, la joyeuse, l’aveuglante illumination. La lumière y acquiert une qualité de transcendance : ce n’est pas seulement la lumière méditerranéenne; c’est quelque chose de plus, d’insondable, de sacré. Ici la lumière pénètre droit jusqu’à l’âme, ouvre portes et fenêtres du coeur, dénude l’homme, l’expose, l’isole dans une félicité métaphysique où tout s’éclaire sans qu’il soit besoin de la connaissance. L’analyse s’arrête net dans cette lumière. »
Henry Miller, Le Colosse de Marousssi, 1958.
Je connais ce texte, ce Colosse, depuis le début des années 80. Sa lecture a à ce point compté que j’en fis à l’époque le sujet d’un mémoire d’étude. Je suppose que cette fascination de jeunesse prolongeait les impressions laissées par un premier voyage en Grèce quelques années plus tôt. Tout aussi bien elle annonce aujourd’hui d’autres voyages dans la lumière grecque, une lumière qui, j’en fais l’hypothèse, rencontre d’autres rêvasseries plus lointaines encore, quand mon regard se perdait dans le ciel bleu d’une fresque évangélique, à gauche de l’autel, en l’église du Sacré Coeur de Menton. Va savoir…
En mars, fortement question de retourner là-bas pour jouer la pièce Migraaaaants de Matéï Visniec, reprise d’un grand moment de l’année écoulée. Plus tard (disons quelques années), autre projet tenu pour l’instant top secret… En attendant, et pendant deux ou trois jours, admirons ces paysages admirables. Novembre gris nous y encourage, n’est-ce pas ?