CAILLOUX MYSTIQUES

Oui, comme dans toute la Méditerranée du sud, on prie beaucoup à Malte, Jésus et ses apôtres, et Saint Paul bien évidemment dont le passage dans l’île ne sera pas resté inaperçu. Il y aurait fait naufrage non loin de la passe entre Malte et Gozo, qu’aujourd’hui le ferry traverse avec une régularité de métronome. Si Malte est aride, Gozo l’est plus encore, défendue au nord et au sud par de hautes falaises qui s’effritent. Cette Mare Nostrum paraît rarement aussi forte qu’ici, à frapper comme elle le fait les trois cailloux mystiques (car je compte aussi la minuscule Comino, entre les deux îles principales. L’intérieur, lui, est très calme. Quel plaisir de flâner dans les ruelles tranquilles de Mdina! Quelle découverte aussi que la Casa Rocca Piccola! Le marquis de Piro, francophone, nous y reçoit élégamment avant de nous laisser dans les pattes d’un de ses rejetons à peine audible, délégué à la visite des caves ou anciennes citernes qui abritèrent la population pendant les bombardements italiens et allemands. J’imagine qu’on pria là aussi, les yeux inquiets tournés vers les voûtes. Mais elles ont tenu le coup. Tout ne s’effrite pas en ce bas monde, et voici le temps de refermer délicatement ces trois carnets d’esquisses maltais.

 

 

 

LE LAPIN MALTAIS

Avec une certaine gourmandise, mon père se disait parfois philologue et aimait à  interpréter l’étymologie de la ville d’Hazebrouck (59) : le « pont de la lièvre », disait-il, alors qu’on pourrait y voir aussi le « marais », voire le « marais de la brume », d’origine anglo-saxonne (peut-être confondait-il « haze » et « hase » et moi le brouillard avec le cannabis ?). Si un habitant d’Hazebrouck lit cet article, qu’il éclaire nos lanternes… Toujours est-il que prenant nos quartiers à Ħaż-Żebbuġ j’ai rapidement pensé à Lulu en imaginant que nous logerions au « lapin aux olives » ! Oui, à Malte, Żebbuġ, c’est l’olive (pourtant introuvable dans l’île), et les Maltais aiment le lapin. Le dimanche tout particulièrement, ils prennent d’assaut les restaurants populaires pour en consommer, dans un esprit très famille qui fait plaisir à voir. Pour le reste, j’ai passé le séjour à me demander très sérieusement ce que signifiait être Maltais. C’est pour moi un mystère que, par paresse cependant, je n’ai pas vraiment cherché à lever. Un Maltais élève des murs de pierres calcaires en paraissant mépriser les affaires de remembrement ; il ne roule ni à gauche ni à droite mais au milieu de la route ; il chasse des oiseaux, assis sur un pliant à l’abri d’une cabane de planches ; il prie dans les églises et se signe dans l’avion, bois de l’eau dessalée et ne cultive ni l’orange ni l’olive donc, contrairement à ce qu’on pourrait un peu vite supposer. Quant à l’histoire de son île, elle hésite entre le fracas, la bravoure, l’opacité et une singulière placidité. Nous fûmes, quoi qu’il en soit, impressionnés par l’épaisseur des bastions innombrables à l’abri desquels on vaque à ses occupations. Se marier par exemple, en se faisant « beaux comme des astres » (et là, je pense à ma mère) !

Demain, suite et fin du carnet.

SE LA COULER DOUCE

Le voyage d’automne, tradition que je partage depuis quelques années à la fin octobre avec Anne, Catherine et Paola (ensemble nous avons déjà visité Naples et sa région, Istanbul ou les Pouilles par exemple), le voyage d’automne, donc, a la particularité de nous apparaître comme un voyage d’été, mais un été qui serait doux et délicat, débarrassé de ses excès climatiques, de la promiscuité populaire et des hordes de vacanciers, bref, faisons-la courte, un voyage d’aristocrates !

Bien entendu, il ne s’agit que d’une illusion, quand bien même le voyage de cette année aurait pour cadre la Malte séculaire. Non, nous ne sommes plus au temps où Paul Bowles voyageait avec ses malles, assis sur le pont d’un yacht, mâchouillant négligemment (et en réalité dans une pose étudiée) son porte-cigarette. Notre voyage d’aristo commence avec Ryan Air au départ d’un hangar périphérique de Marignane, se poursuit dans un véhicule d’Europcar plus petit dans la réalité que ne le laissait espérer la réservation Internet, et s’achève au bout d’une semaine d’air bee and bee à Ħaż-Żebbuġ, le cœur adouci par le miel du soleil et de l’amitié, sans autre prétention.

Pas de prétention donc ici d’écrire un grand reportage. Un peu comme si ce voyage aux marges de la belle saison était, pour une fois, l’occasion de se la couler douce. Les photos, en trois fois, parleront d’elles-mêmes. Aujourd’hui, des paysages surtout, répétitifs dans leur majesté parfois austère. Demain, les humains !