CROATIE : LE GRAND REMPLACEMENT

Les photos ne trompent pas. Ce qu’il y a retenir de ce voyage est avant tout l’amitié, réconfortante et sûre. Car pour le reste, c’est-à-dire la destination, rien ne ressort. La Croatie comme le Monténégro méritent sans doute mieux que mes cartes postales convenues, mais il faudrait aller ailleurs qu’à Split, Dubrovnik ou Kotor, quitter les itinéraires fléchés et échapper au déversement par les paquebots de leur cargaison de visiteurs grégaires. À Kotor, lorsqu’on entre dans la ville, le Costa Luminosa ou tout autre navire du même gabarit semble, comme un bélier, avoir fracturé les remparts. Le navire est plus haut que n’importe quel bâtiment de la ville qu’il menace d’engloutir (ou d’avaler). Les Monténégrins, comme les Croates, paraissent se cacher ; on ne voit guère, parmi eux, que les marchands de glaces ou les serveurs de restaurant, pas toujours aimables. Le reste de la foule (car il y a foule) se déplace en groupe, souvent derrière un parapluie ou un fanion brandi… Je me répète d’article en article. Toutes les grandes et belles villes européennes sont désormais engorgées, au point peut-être de ne plus se reconnaître. Ici, en Croatie, je m’interroge sur l’opinion publique locale. Que pensent vraiment les autochtones, plutôt nationalistes comme partout dans les Balkans, de ce « grand remplacement » ? La paix est revenue dans la région, le développement économique est en marche, la manne du tourisme grossit d’année en année. Mais n’est-ce pas au prix, au moins dans les villes du bord de mer, d’une forme de déculturation ? En serait-on là ? La brusquerie (celle que nous avons constatée partout ou presque) comme identité nationale, c’est-à-dire comme résistance ?  Est-ce bien raisonnable ?

Mon usage abusif de la question rhétorique ne trompe pas non plus. Pas à l’aise… Je me reproche, en écrivant, mon état d’esprit grognon. Mais il ne sera pas dit que ce site nommé « Des mondes regardés » transige avec la vérité des impressions. Subjectivité, ici, fait loi. Et, somme toute, il n’est pas impossible de rentrer déçu d’un voyage (en tout cas de ce que l’on a visité). Tout ne se vaut pas; l’extase n’est certainement pas obligatoire. Et le tourisme de masse, auquel on participe soi-même, est un « tue-voyage », comme on dit un « tue-l’amour ». Savoir se le dire me paraît plutôt sain. Voici, à titre personnel, le sens de cet article et la leçon du voyage.

PS : la mer intérieure des Bouches de Kotor est splendide.