Commence ici le compte rendu d’un voyage au long cours. J’aime cette expression empruntée au monde de la mer, à sa navigation, mais c’est spontanément vers l’alpinisme que me porte l’esprit pour distinguer la voie normale de ces itinéraires moins convenus, tel enchaînement d’arêtes aux confins d’un massif, telle jonction inattendue entre deux ou trois montagnes que des vallées cachées séparent. On suivra donc avec ces nouveaux carnets l’itinéraire suivant : de Lisbonne à l’Archipel du Cap-Vert – quatre de ses îles -, du Cap-Vert au sud du Sénégal – cette ville au nom abracadabrant de Ziguinchor – puis, de là, les lisières de Guinée-Bissau (nouveau pays lusophone), la traversée aventureuse de la Gambie, plus loin Casablanca vacante, pour revenir à Lisbonne, la Serra da Estrela, les plaines océanes d’Extremadura (je dirai pourquoi) et, par un dernier après-midi plombé, Madrid, chic et sage. De ce « parcours illogique » – où comme toujours je me fis regardeur – seront partagées les surprises, l’émotion, les fatigues. En mots comme en images, de la géographie par les pieds et en histoire, en rencontres, où croiseront parfois les auteurs.
Depuis Nice, avant la première nuit à Praia, il me fallait combler quelques heures à Lisbonne. Je décidai de les passer près du pont que je franchirais quatre semaines plus tard, au-dessus du Tage qui est ici une mer. Sa géométrie impose le noir et blanc tandis que son nom, Vasco de Gama, invite déjà aux grandes traversées, aux rêveries cosmiques, quand nous ne serions que des nains privés d’héroïsme (ou, comme dit Maupassant, des bourgeois privés d’herbe). Au pied de la double pile ouest j’étais seul. Personne ne traîne ici. Je prétends pourtant à une esthétique du vide et y reviens souvent. Plus qu’un besoin, c’est un style d’abord; peut-être aussi la nécessité, parmi d’autres, d’un périple se voulant singulier.
Cette fois, le pont sur le Tage en aura été le seuil. Je vous propose de le franchir demain.