LOST PARADISE

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Je pense à ces vers d’Apollinaire :

Il y a les fleuves qui ne remontent pas leur cours

    Il y a l’amour qui m’entraîne avec douceur

    Il y avait un prisonnier boche qui portait sa mitrailleuse sur son dos

    Il y a des hommes dans le monde qui n’ont jamais été à la guerre

    Il y a des Hindous qui regardent avec étonnement les campagnes occidentales

    Ils pensent avec mélancolie à ceux dont ils se demandent s’ils les reverront

    Car on a poussé très loin durant cette guerre l’art de l’invisibilité

Nous sommes en 1915. Apollinaire est dans la boue des tranchées, celles de la sinistre et absurde Europe en guerre. Il pense à Lou qui l’attend peut-être à l’arrière ; il pense au boche d’en face; il pense aux autres mondes qu’il croit intacts, lumineux.

Je pense aux images de La ligne rouge de Terrence Malick, d’une beauté déchirante : le répit de ces soldats nageant dans le lagon avec des gamins, loin du bruit des bombes.

Je pense aux enfants que j’ai croisés et photographiés sur une plage du bout du monde cet été. Ils grandiront. Ils connaîtront leur lot de souffrance, entreront dans la grande roue des choses. Pourtant, aujourd’hui, leur innocence est un réconfort. Comme les Hindous d’Apollinaire, ils s’étonneraient de ce qu’ils ignorent encore. Puissent-ils en être le plus longtemps préservés.

PROVINCE CAPITALE

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Journée de transition avec retour à Manille avant le grand départ pour Melbourne.
À la fraîche ce matin piscine puis moto jusqu’à Dauis et la côte occidentale de l’île. En ce dimanche beaucoup de Philippins vont à la messe. Ce catholicisme rassemble les foules et fortifie le lien social. C’est un trait marquant ou « saillant », (dédicace spéciale à Virginie et Évelyne qui comprendront) du pays, avec son caractère latino-asiatique, son métissage particulier qui adoucit la langue, la musique, les visages, la marche et son rythme. Tranquille… Les Philippines ont a souffrir pourtant; ce n’est pas un paradis. Partout les ruines rappellent les catastrophes, ouragans ou tremblements de terre. C’est particulièrement vrai à Loon que je traversais hier. Les églises, justement, sont endommagées (pourquoi ?). À Dauis, par exemple, la messe se célèbre à l’extérieur, à l’ombre du clocher dangereusement lézardé…
Me voici donc ce soir à Manille et dans le centre cette fois. Près de l’hôtel curieuses fortifications circulaires abritant une chapelle (messe) et un cimetière. Y reposent les restes de José Rizal, héros de la révolution philippine, celui dont la statue trône dans tous les jardins et au milieu des places. Le front de mer, entr’aperçu au crépuscule depuis le taxi, est une longue promenade que je remonte dans la nuit. À ma droite, après l’imposante ambassade américaine, la mer. À ma gauche, de l’autre côté de la double avenue, la rangée des banques et des hôtels de luxe. Partout, sur le trottoir, des sans abri ou plutôt des « sous bâche », parfois avec leurs enfants. De temps en temps un couple d’amoureux et, régulièrement, des masseurs ou des masseuses; de quoi se décontracter l’échine. Je marche ainsi jusqu’à une sorte de Luna Park, sa grande roue et ses attractions bruyantes. Bref, la fête.

UNE ÎLE

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Louer une motocyclette et c’est la liberté ! Une fois passés les embouteillages de Tagbilaran, le nez au vent, je vais où il me plaît. Direction Nord plutôt que Sud et découverte des rivages heureux de Bohol. À Maribojoc, le hasard me conduit à une tour de défense (XVIIe) et à sa croix. Les faubourgs de Loon me rappellent les faubourgs de Pa (au Burkina faso) et l’arche des flamboyants, du côté de Cortès, ceux de Thiès (au Sénégal). À chaque lieu ses rencontres : enfants curieux (pas d’école aujourd’hui), femme gracieuse, pas bégueule du tout, pêcheurs, jeunes basketteurs (basket, sport national), éleveurs de coqs de combat (autre spécialité nationale), bandes de fêtards du samedi qui m’offrent du brandy et un alcool à base de coco. Entre Loon et Calape, la route sur la gauche puis un pont (aide du gouvernement australien) mènent tout droit à l’île de Sandigan. Nous sommes loin ici de l’atmosphère de Panglao, modérément goûté hier. Pas de resorts, pas de loueurs de tubas, de touristes rosés et autres habitués. Arrivé au bout d’une piste, un ponton. J’emprunte une pirogue à balancier pour poser les pieds à Cabilao island, un bout du monde. Les Philippines comptent des milliers d’îles de ce genre. Une vie ne suffirait pas pour les visiter. Mais cette idée est saugrenue, empressons-nous de l’oublier.

PS : faute de réseau suffisant, j’ai eu le plus grand mal à télécharger les photos. Qualité non garantie.

TARSIER ? NE PAS DERANGER !

Une journée touristique… L’île de Bohol propose quelques spots incontournables, il serait dommage de passer à côté. Prenons l’exemple d’un tarsier. Ce primate mesure environ 8 cm et s’accroche aux branches d’acajou en ouvrant de grands yeux. Le jour il s’économise pour faire la fête toute la nuit, paraît-il. Or je mets au défi quiconque de repérer l’animal dans des conditions normales de promenade non accompagnée dans la jungle épaisse. Ne pas trop rêver ; un tarsier, modèle de discrétion, se fond dans le décor, se cache sous les feuilles, et mes conseils sont plutôt de prendre un billet d’avion pour les Philippines, de rejoindre Corella, d’acheter un billet au Philippine Tarsier Sanctuary, de suivre les flèches, et d’attendre qu’une hôtesse vous montre du doigt l’animal. Au début, on ne voit rien, enfin, du vert, beaucoup de vert, et tout à coup il y a un « Ahhhhh !!! », aussitôt étouffé au fond de sa gorge, parce qu’il ne faut pas trop effrayer ni déranger le tarsier.
Plus repérable sur l’île de Bohol, le touriste coréen. Il se déplace généralement en groupe et, je ne sais pourquoi, décide systématiquement de se rendre là où vous allez. Chocolates Hills ? Bien sûr ! Lobok River ? Evidemment ! Ruines de l’église baroque de Baclayon ? Cela va de soi… Il semble en revanche que le pont de bambou de Sikatuna soit réservé aux seuls touristes français.
Voilà en tout cas une nouvelle journée bien remplie. La piscine, en fin d’après-midi, est un délice. Il me faut ce soir trouver un moyen de locomotion pour aller dîner en ville, à moins que je ne me laisse séduire ici par le karaoké. Apparemment, c’est une spécialité de l’établissement.