Je reviens toujours à Barles. Je pourrais d’ailleurs en faire un pseudo : Alain, bien sûr ; Pierre, puisque c’est aussi mon prénom (hérité du père de mon père) ; et puis Barles, le pays de ma mère.
Enfant, je prétendais y être né ; je me prétendais aussi agriculteur, Grand Chevalier de l’Ordre de la Pomme de Terre, soldat bleu du Fort Laramie (entrée du village), impitoyable chasseur des Indiens Potoroses. Je me souviens des printemps sans couleurs, des coups d’éclat de l’été, des copines intouchables ou plutôt intouchées. Je me souviens du programme commun, des cousins, des tablées immenses que dominaient le crâne luisant de Maurice, son ironie, l’autorité enfin détendue de Lucien. Je me souviens de Paulette au fourneau, des coquillettes. Je me souviens des gilets de Raymonde, de la casquette et du couteau Opinel. Je me souviens des épiques cueillettes, de la peur de la nuit à la Barricade, de cette frustration permanente des montagnes, des escalades déraisonnables auxquelles elles pouvaient donner lieu. Tout est là me semble-t-il. Dans cette configuration de lieux et d’émotions qui fait que si je pars, il n’empêche, je reviens toujours.