BARLES LE PASSÉ

Je reviens toujours à Barles. Je pourrais d’ailleurs en faire un pseudo : Alain, bien sûr ; Pierre, puisque c’est aussi mon prénom (hérité du père de mon père) ; et puis Barles, le pays de ma mère.

Enfant, je prétendais y être né ; je me prétendais aussi agriculteur, Grand Chevalier de l’Ordre de la Pomme de Terre, soldat bleu du Fort Laramie (entrée du village), impitoyable chasseur des Indiens Potoroses. Je me souviens des printemps sans couleurs, des coups d’éclat de l’été, des copines intouchables ou plutôt intouchées. Je me souviens du programme commun, des cousins, des tablées immenses que dominaient le crâne luisant de Maurice, son ironie, l’autorité enfin détendue de Lucien. Je me souviens de Paulette au fourneau, des coquillettes. Je me souviens des gilets de Raymonde, de la casquette et du couteau Opinel. Je me souviens des épiques cueillettes, de la peur de la nuit à la Barricade, de cette frustration permanente des montagnes, des escalades déraisonnables auxquelles elles pouvaient donner lieu. Tout est là me semble-t-il. Dans cette configuration de lieux et d’émotions qui fait que si je pars, il n’empêche, je reviens toujours.

LOINTAINES COMORES

En redescendant du chemin de la Gavotte, j’ai décidé de me rendre aux puces, situées dans le quartier d’Arenc, le long des autoroutes urbaines et des voies ferrées. Un grand marché couvert propose fruits, légumes, boucheries hallal, pâtisseries orientales, petits troquets no alcool, le tout à des prix défiant toute concurrence (encore que le marché de Noailles, dans le centre, soit également intéressant de ce point de vue). A l’extérieur, le bric à brac : marchands de meubles de récupération, tuyauteries en tous genres, objets divers. Au même endroit, l’espace Matoub Lounes (du nom du chanteur Kabyle assassiné en 1998) accueille l’association Amazigh qui signifie « Berbère ». Des chants me font monter l’escalier…

Panneau à l’entrée : « Pas de photos s’il-vous-plaît. »

Sas.

Sourires.

Combien ?

5 euros.

Qu’est-ce que c’est ?

Vous voulez prendre des photos ?

Oui.

Allez-y.

Des centaines de femmes étaient assises en cercle, sur des tapis ou sur des chaises. Quelques hommes, peu nombreux, sur une scène. Des enfants partout. Une buvette. Les chants très rythmés étaient agrémentés par le tac tac de deux pièces de bois frappées en cadence. Sacré boucan pour une fête comorienne heureuse. Le sentiment d’une vraie communauté. Je suis resté une demi-heure, rendant les sourires qui m’étaient adressés, et repensé à la manifestation aperçue une semaine plus tôt près de la Canebière. Les comoriens et autres natifs de l’Océan Indien ont beau s’en plaindre, les billets d’avion pour rentrer au pays sont toujours aussi chers. C’est peut-être pour cette raison qu’on a besoin de se retrouver et de chanter. Cela rappelle le pays lorsqu’on en est éloigné.

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ORANE ET LES QUARTIERS NORD

Orane Demazis a été l’une des conquêtes de Marcel Pagnol ; on peut dire, du point de vue qui est le nôtre aujourd’hui, qu’elle frise le ridicule dans la Trilogie ; mais ce n’est pas ce qui l’empêche d’avoir son impasse à Marseille, dans les quartiers Nord, à quelques pas de la Cité de la Solidarité. Ici font face aux barres délabrées de petits pavillons surmontés de fils barbelés. En redescendant du temple bouddhiste qui domine la situation (Vatt Marseille, chemin de la Bigotte), j’ai pu échanger quelques mots avec une famille occupée à réparer son grillage. La veille, des inconnus avaient saccagé cette barrière de défense, endommagé les volets et visité l’intérieur. Le monsieur m’a dit de prendre des photos. Selon lui, l’immeuble d’en face était un mirador. « Ils » savent quand on part, « ils » viennent  se servir. La formule m’a rappelé ce que m’avait dit un propriétaire ghanéen dans des circonstances comparables : « You put, they take, you put, they take… » C’était au milieu des années 80.

À Marseille, aujourd’hui, en quelques minutes, dans un périmètre très restreint, venaient en tout cas se bousculer les pagnolades, l’encens et l’esprit du Bouddha, la mosquée d’immeuble, la misère et la violence sociale, le désarroi des familles, la course d’une enfant et même le sourire de joueurs de boules vietnamiens.

Tout un monde.

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LA VIE MARSEILLAISE

Il doit y avoir à Marseille comme ailleurs des gens bien, des ordinaires, des génies, des salauds, des lâches, des humbles, des orgueilleux, des courageux, des péquenauds, des pétasses, des secrétaires, des pianistes, des gendarmes, des voleurs, des footballeurs, des beaux, des laids, des curieux, des curieuses, des amoureux, des solitaires, des branchés ou débranchés… Tous ceux-la cachent leur jeu ou marchent à découvert, le plus souvent un peu des deux. Sans le vouloir, sans le savoir, sur les 800000 habitants de la ville, vous avez quelques chances de les croiser. Ils passent et vous les regardez parce qu’ils sont l’humanité. C’est un embouteillage, une sorte de grand bordel à ciel ouvert, dans la lumière somptueuse de la fin de l’été.*

* Article écrit le 8 septembre 2013, quelques jours après mon installation à Marseille (photos prises vers la Pointe Rouge).

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DUNKERQUE L’AUTRE PAYS

Tout en haut de la France, à deux pas de la frontière belge, se trouve mon autre pays. Plat, comme on sait. J’y retrouve certaines marques, des souvenirs, la chaleur familiale. J’ai revu Tata Lulu dans son fauteuil, face à la mer. Bonne nouvelle, son dos ne la fait plus souffrir et elle a de nouveau le sourire. Avec Robert nous sommes allés sur la tombe de mon oncle et de mon grand-père, Pierre, mort en 1955. Tout près se trouve également la tombe de ma grand-mère. Nous sommes passés rue Paul Machy voir l’ancienne maison. Pendant mon adolescence, à l’époque de mes premiers voyages, j’envoyais toujours une carte postale à cette adresse quand bien même la grand-mère ne « savait » pas la lire (dans le Nord, on emploie savoir pour pouvoir, de même qu’on méconnaît totalement l’usage du subjonctif, ce qui donne par exemple : « Faut que je suis sûr de trouver une baraque à frites. »). Bref, après un superbe périple de 4500 kilomètres à travers l’Europe du Nord, je retrouve un « chez moi ».