LA CHAMBRE AFRICAINE

La vie de groupe est donc un des plaisirs de Dano. Là-bas, pour nous, le mot « association » prend tout son sens. Pourtant, j’aime les moments où je me retrouve seul dans la chambre. En général, j’y nettoie mon matériel, la caméra surtout qui a pris de la poussière toute la journée.

Ce moment de solitude me renvoie aussi à 2005, l’année de mon premier voyage dans la région, une période difficile. Dans un texte pour une part autobiographique (et gigogne) j’ai raconté ce voyage :

 « En février, alors que nous séjournions dans une région de brousse, l’Afrique que je retrouvais avait perdu sa magie. Dans le carnet que je tenais alors, je relis ces phrases : “Du temps et de la distance, un changement de cadre, il est vrai sans grande surprise, comme si pour le moment la crise que je vis faisait encore écran entre les choses et moi. (…) Le temps passe en Afrique, je traverse des paysages extraordinaires, vis des heures fortes, touchant de près ce qu’on peut appeler la misère. Ici, hommes et femmes sont démunis de tout, luttent au jour le jour pour survivre, sont confrontés régulièrement à la mort de leurs proches. Ce n’est pas une surprise pour moi. Je me sens en terrain connu et le parfum de l’aventure s’évente. Signe que j’ai vieilli sans doute; le même voyage il y a vingt ans m’aurait secoué davantage.” Les chambres dans lesquelles nous logions étaient extrêmement rudimentaires ; certains d’entre nous ne disposaient pas même de l’eau courante ; mais je regagnais tous les soirs avec soulagement ma paillasse, pour penser, essayer de comprendre ce qui était en train d’arriver. »

Depuis, je suis retourné plusieurs fois à Dano et mon regard a changé : je suis moins misérabiliste, même si je n’ignore pas pour autant les difficultés du pays. Peut-être mes propres difficultés se sont-elles éloignées ou n’est-il plus d’actualité de récupérer l’expérience vécue à des fins ouvertement romanesques. Ma démarche est différente parce qu’elle s’inscrit davantage dans le collectif ou tout simplement l’amitié; dans l’action, en fin de compte, aussi modeste soit-elle… La chambre, cependant, reste un besoin, un lieu de dialogue avec moi-même et, éventuellement, de relative sérénité (mais je ne suis pas sûr de la justesse de ce terme).

PS : comme me l’a indiqué un ami, le Burkina Faso est 179ème sur les 185 pays comptabilisés dans le calcul de l’IDH (indice de développement humain).

1977

Ici commence une courte série d’articles sur Istanbul et la Turquie.

1977, c’est l’année de mon premier voyage. Avec Patrick et André, venant d’Istanbul, nous comptions prendre un ferry à Izmir pour rejoindre la Grèce. Arrivés à Izmir cependant, après un nuit passée dans le bus, nous avons découvert qu’aucun bateau ne partait. C’était un port industriel, sans grâce, sans paquebot. Il a donc fallu nous débrouiller sans connaître un seul mot de turc. Après avoir erré sur les quais, un type nous a expliqué en allemand que nous n’étions pas au bon endroit, que nous devions nous rendre à Cesme, un petit port au bord de la Mer Égée où nous aurions peut-être la chance de trouver un rafiot faisant la navette avec Chios. Dans la précipitation, nous sommes montés dans un autre bus et avons rejoint Cesme. Aujourd’hui, c’est devenu une station balnéaire bétonnée ; mais à l’époque on pouvait encore parler de bout du monde. Sur le port, un autre type nous a dit qu’un chalutier allait partir pour Chios, l’île que nous voyions à l’horizon. Nous nous sommes donc installés sur le pont pour débarquer une heure plus tard sur le territoire grec, prendre une chambre dans un petit hôtel et nous faire engueuler par la patronne qui trouvait que nous consommions trop d’eau sous la douche.

Fin de cette histoire. Un mois après je rentrais à la fac de Lettres où m’attendaient d’autres émotions.

IL Y A SEPT HEURES ET SEPT HEURES

Un jour, j’ai pris mon petit déjeuner sur la terrasse détrempée du Château Windsor Hotel à Bombay. J’étais seul, un peu à l’étroit sous un auvent, et je regardais les corbeaux attendant patiemment mes miettes.

Parfois nous sommes le lundi et nous pensons au lendemain, par exemple – si l’on est professeur – aux sept heures de cours qui s’écouleront, vaille que vaille, dans la routine du mardi.

Sept heures, c’est exactement le temps qu’il faut depuis la France pour rejoindre Bombay. La même durée qu’une journée de travail et ce sont les corbeaux, la mousson, les clés d’une chambre où vous n’avez jamais logé.