LAON

J’aime les missions, il m’est arrivé dans ma vie d’en assurer voire d’en donner, et cette fois je me faisais un devoir de m’arrêter à Laon, le pays de mon ami et frère d’arme Frédéric.

Passée la zone commerciale conforme en tous points à ce que les consommateurs d’aujourd’hui attendent de ce type de périmètre et de sa fonction (Bricorama Laon, Carrefour Laon, McDonald’s Laon, Intersport Laon), nous empruntions la rampe qui mène au centre historique, si je ne m’abuse, après l’avenue Georges Pompidou et la rue Arsène Houssaye, la rampe d’Ardon. J’ai envoyé un texto et surtout des photos à Fréderic : « Tu reconnais, camarade ? » Évidemment ! Et lui de me répondre « La toute première photo me touche encore plus que les autres où je retrouve pourtant ma cathédrale bien aimée, car à l’arrière-plan se trouve le kiosque de notre enfance, à cinq minutes à pied de chez ma grand-mère Simone. Merci mon frère pour ces photos ! » C’est si simple parfois de faire plaisir en partageant une émotion… Le kiosque en question – dit de la promenade de la couloire – nous y avions en effet garé la voiture, bien décidés à grimper jusqu’au plateau où se tient la cathédrale Notre Dame de Laon datant du XIIe siècle. Nous y allions au visu en tâchant d’apercevoir par dessus les façades l’une ou l’autre des cinq tours de l’édifice. Plus tard, une fois de retour, Frédéric m’apprit que Simone habitait au 52 bis de la rue Vinchon. Nous y étions passés sans le savoir. Ardon, la couloire, Vinchon, mystère des noms de rue… En cette matinée printanière, la vieille ville de Laon est très calme. En majesté nous remontons la rue Châtelaine, piétonnisée. Ici, le petit commerce fait de la résistance mais il n’a pas l’air bien vaillant. Je note sur mon carnet imaginaire le kebab Byzance et, un peu plus loin en direction de la cathédrale, un magasin d’antiquités très porté sur les arts ménagers et les napperons. Au débouché de la rue, la bien aimée gothique. Je comprends Frédéric. Dominant une esplanade aux dimensions très humaines, voici une jolie bergère gardant, tout près d’elle, ses petites maisons. À l’intérieur, je suis frappé par une statue de bois polychrome de Saint Martin. Il est comme posé en équilibre sur son cheval, et je ne sais si cette forte impression trouve son origine dans le récit du manteau partagé (une des histoires les plus anciennes de ma mémoire) ou dans le sentiment de retrouver un de mes vieux jouets, les figurines de cowboys et d’Indiens sur leurs chevaux qui occupaient mes jeudis après-midi, sur le tapis gris du salon. Et d’ailleurs, cette cathédrale, ces maisons de pierres qui l’entourent et dont j’aime infiniment faire le tour (en passant par les ruelles) ne me renvoient-elles pas elles aussi aux maquettes du train électrique de mon enfance ? Frédéric a son kiosque, à deux pas de mamie Simone, j’ai mes petits soldats, mes jeux de construction, mes châteaux forts.

5 réflexions sur “LAON

  1. A propos de la cathedrale de Laon, lire l’évocation qu’en fit Ernst Junger à la fois occupant avec l’armée nazie et esthète, dans « Jardins et routes ».

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  2. Laon.
    J’attendais, Alain, le texte que tu avais annoncé. Pour moi, Laon est synonyme d’ennui, de perte de temps, de lâcher prise vaguement honteux, d’observations de mes collègues de caserne, d’apprentissage d’un peu de vocabulaire : fourrier, vaguemestre, famas, 12-7. C’est là que j’ai effectué mon service militaire, en 1986. Un peu à l’écart de la ville où je n’ai jamais été. Rien n’était organisé pour. J’avais refusé les EOR et j’y ai donc passé un an simple soldat de troupe. J’avais aussi refusé de passer caporal mais puisqu’on le devenait automatiquement qu’on le veuille ou non, j’avais dû me résoudre à accepter de devenir première classe. Mouarf, comme un voyage en première classe ? Dans les brumes du tabac alors puisque c’est à l’armée qu’on nous distribuait gratuitement, qu’on le veuille ou non, des cartouches de cigarettes, que j’ai commencé à fumer. Pas des Caporal, non, mais des Gauloises. Toutes aussi brunes et âcres.
    Dieu merci, je n’ai pas eu mes 20 ans dans les Aurès mais à Laon. Ca recadre, quand même, et il faut vraiment relativiser ce que j’écris moi, fils de petits bourges tout juste parvenus, avec toute la bonne éducation qui va avec. Peut-être aurais-je dû faire les EOR pour être aspirant, ou même accepter d’être simple caporal. J’aurais ainsi évité la fureur de mon père qui, ne voyant que mon confort, m’avait passé un savon devant ce renoncement volontaire.
    Ainsi, Laon, c’est aussi ce que tu dis, Alain ? Cela peut être des souvenirs agréables ? C’est aussi, dans la vieille ville, ce passé historique qui vous plonge dans l’art religieux du Moyen-Age très joliment illustré par tes photos ? Bien évidemment oui. Vu par mon ancienne expérience personnelle, c’est très étonnant.
    Tu me fais donc changer de lunettes, Alain. Celles que je portais à l’époque (je les ai toujours au fond d’un tiroir) me ramènent une vision triste, sombre et paradoxal de l’ennui baudelairien. Avec, tout de même, deux éblouissement pour le grand Duduche que j’étais. C’était le lever d’un jour d’hiver et j’étais sacrément emmitouflé devant la guérite à l’entrée de la caserne, le long de cette route, à dormir debout ou quasiment. Il devait être autour de sept heures du matin et de l’autre côté de l’asphalte est tout à coup apparue, sous l’abri-bus, comme une souriante fille de proviseur, la fille du colonel, chef de corps du Régiment qui habitait la maison juste en face. Sans doute voulait-elle se rendre à son lycée. J’avais 20 ans et dans la salle de garde d’où je devais m’extirper toutes les deux heures pour prendre ma faction, avaient circulé toute la nuit au format poche des BD de qualité on ne peut plus graveleuse, aux textes on ne peut plus limités, aux dessins on ne peut plus ronds tracés de simples traits noirs sur papier on ne peut plus jaunes, usés, cornés, froissés. Entre deux tours de garde, je n’arrivais pas à dormir sur cet infâme lit Picot. Non à cause de ces publications mais parce que moi je lisais, au format poche aussi et pour la première fois, Cyrano de Bergerac. Pour cela, mes camarades de Compagnie du Service général, également réquisitionnés pour la garde cette nuit-là, me battaient froid. A-t-on jamais vu ça ? « Rooooxanne, you don’t have to put on the red light, those days are over, you don’t have to sell your body to the night » chantait le groupe Police, quelques années avant. La fille du chef de corps me ramena donc en pensée à Roxanne et à la fille dont j’étais amoureux (à moins que cela ne soit l’inverse) depuis la classe de première de mon lycée lillois. C’est pour la rejoindre que, cette même année de service militaire, j’ai accidenté la voiture de ma mère qui ne savait pas que je la lui avais empruntée. Mais c’est une autre histoire. Comme en est une troisième, celle de mes camarades conscrits qui avaient repéré que, fidèle à mes plaisirs et à mes habitudes, j’envoyais à mon élue des poèmes et qui avaient substitué à mes pauvres vers d’autres de leur composition que je n’ose imaginer. C’est bien plus tard qu’elle osa m’en parler, encore interloquée, au téléphone.
    Tu comprends mieux, Alain, la raison toute personnelle (hors celle purement littéraire) pour laquelle j’ai lu avec acuité Les Liaisons dangereuses quand tu nous les a faites étudier par extraits et que je ne peux que garder en tête l’utilisation, quelles qu’en furent les objectifs, du détournement ou de la substitution de courriers par différents romanciers dans leur diégèse.
    Voilà ce que Laon signifie pour moi – outre mon émouvante découverte alors que je m’y rendais en train toujours en cette année 1986-87, d’une plaque commémorative à l’entrée de la gare de Compiègne. Une ville finalement inconnue, où à défaut de garnis je n’avais qu’une garnison excentrée des beautés que tu évoques et où, très jeune adulte en sa périphérie, je me suis tout autant déconstruit que reconstruit, sachant parfaitement que c’était la dernière occasion que j’avais de faire l’imbécile et j’en tairai, ici, permission ou pas, d’autres anecdotes plus ou moins glorieuses. Vive le Père cent et vive la quille ! De toutes façons, le 58e RT a été dissous le 30 juin 2001. Et dix sous, c’est pas cher !

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  3. Enfant, jouant libre sur les « promenades » au pied des remparts avec mon frère et ma sœur-61 ans hier-, je devinais à peine, aux confidences de ma grand-mère bien-aimée, la profusion des traces laissées par Laon dans l’histoire : montagne sacrée, patrie d’Anselme (et des frères Le Nain), première commune de France (après que les habitants avaient jeté leur évêque et seigneur par-dessus les remparts dans un tonneau), lieu de passage de Bernard de Clairvaux et Thomas Beckett sur le chantier de la cathédrale, immortalisée par Delaunay… Merci Alain.

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