Le crocodile en plâtre de Sabou est bien mal-en-point. Il ne faut cependant pas en déduire que tout va à vau-l’eau au Burkina Faso ; ce n’est pas vrai ; et pour m’y être rendu à cinq reprises en dix ans, je peux attester que tout avance, les signes de croissance sont là, souvent discrets, parfois plus spectaculaires, alors qu’aussi bien sous la chaleur tout se fige, la permanence des traditions, la lenteur, l’immuabilité de certains gestes.
Le voyageur arrive à Ouaga de nuit. Voici une expérience dont on se souvient. Tout d’abord, que faire de la doudoune qui vous a douillettement réchauffé durant le vol ? Les couvertures d’Air France sont de pauvres liquettes et il faudrait mener une enquête journalistique : pourquoi frigorifier systématiquement les passagers avant de les expédier dans l’étuve du poste de douane ? Je m’interroge tandis que j’accroche mon pull et ma veste là où je peux. Le douanier, c’est nouveau, prend mes empreintes digitales et photographie mes documents. Les porteurs de valises semblent s’être un peu calmés. Pas de foire d’empoigne. Il est 22h et il fait 38 degrés.
Depuis 2012, date de notre dernier passage, le Burkina a connu des bouleversements politiques : une tentative de coup d’état, la mise à sac de son Assemblée Nationale, des élections plus ou moins sereines, des révoltes populaires, des attaques terroristes… Encore aujourd’hui, alors que le nouveau président Kaboré s’offusque d’avoir été mal reçu par son homologue français, les maires sont suspendus et il se murmure que le nouveau pouvoir, en favorisant les chefferies traditionnelles, cherche à contourner les processus démocratiques. Enfin planent des menaces. Ebola, par exemple, mais aussi d’autres plus fantaisistes. Les pommes vendues au bord des routes, dit-on, ont été empoisonnées par des émules de Boko Haram. Les petites marchandes sont dans la difficulté.
Vu de loin, c’est compliqué ; vu de près également. Taiwan, apparemment, est ici chez lui. L’électrification des centres urbains et des faubourgs serait en marche. Le PSG des qataris fournit les maillots (pas de traces de l’OM). La Société Générale (voilà un changement qui ne passe pas inaperçu) installe des distributeurs partout, même à Boromo ou à Dano. On regarde deux matchs de Champion’s League sur deux écrans (plats) à la fois. Pour 1000 francs CFA, enfin, un vieux monsieur aux yeux injectés de sang peut s’offrir une paire de lunettes à la mode sans avoir à compter sur les aléatoires rébus des conteneurs humanitaires… Petits et grands détails que remarque l’œil un tant soit peu avisé. À côté de ça, les millions de sacs plastique chinois continuent leur multiplication désespérante (et sans solutions à moins d’une invention géniale, par exemple un aspirateur géant et sélectif qu’on promènerait le long des routes, au bord des chemins de latérite, dans la savane des éléphants.)
Avec Éric Hien, le nouveau Directeur diocésain de Diébougou, nous retrouvons le centre d’accueil Notre dame de Lorette dans le quartier d’affaires de la capitale. Nuit calme et climatisée. Au matin, habituelle mise en route : petit déjeuner Nescafé-margarine-confiture ; change de la monnaie ; passage au consulat; salutations à notre ami Alain Somda ; poulet-bicyclette dans notre maquis préféré ; plein d’essence, etc. Il nous tarde de quitter la ville pour prendre la route, descendre vers le Sud où il fera peut-être moins chaud. Après tout, on peut aussi espérer.