À quoi ressemble une arrivée au Paraguay, petit pays apparemment hors circuit ? C’est la question à laquelle cet article va tâcher de répondre non sans quelques précautions : ce n’est jamais que « mon » arrivée, un certain jour de juillet 2018, en provenance de Posadas, Argentine, entre 16 h et 22 h, dans la ville d’Encarnación. Rien d’universel là-dedans.
Hé bien cela commence si mal qu’on doute justement qu’il soit possible de passer la frontière du Paraguay. La faute à qui ? Aux douaniers argentins, bien sûr, pas ceux de Posadas, qui se mettront en quatre pour permettre l’exfiltration, mais ceux de la gare maritime de Buenos Aires, pas fichus, lors de votre dernier passage, de tamponner mon passeport après un séjour express en Uruguay. Une bonne heure de tergiversations au poste (voir la dernière photo de l’album du jour) et quelques inquiétudes mais… Ça suit ? Si ce n’est pas le cas, pas grave, on comprendra un autre jour et on passe !
Une fois les pieds au Paraguay, première satisfaction d’être chaussé en Goretex. Il pleut des cordes. Gadoue. Sous le parapluie, changer quelques euros dans la rue afin de pouvoir payer un taxi, et inévitable impression de s’être fait avoir. Passe aussi. Le quartier frontière, comme tous les quartiers frontière, est hideux. Direction hôtel.
Germano, il s’appelle Germano, juste en face de la gare routière. Il faut d’abord imaginer le sentiment de reculer de plusieurs décennies en franchissant le seuil. Années 70 peut-être. Imaginer aussi la curieuse impression d’une ville tropicale (flamboyants, palmiers, trottoirs défoncés par les racines) où il ferait froid. Le tôlier est d’une grande serviabilité. Après m’avoir fait visiter la chambre au fond du couloir et expliqué (mais je n’ai pas trop compris) le fonctionnement de la douche électrique, il sort le plan de la région dessiné pour répondre plus aisément aux questions de ses clients (voir photo en tête de cet article). Les distances séparant Encarnación du secteur des missions jésuites sont bien indiquées. Me voici paré.
En face, donc, le terminal des omnibus. Il fait déjà nuit. Regarder avec attention les photos (petits restaurants de rue, comedor, ciel orange) suffit peut-être à deviner l’atmosphère. Je fais des photographies pour me constituer un réservoir de souvenirs d’atmosphères, des photos atmosphériques (je n’ai pas dit stratosphériques) que j’ai plaisir à partager.
La découverte peut commencer. Encarnación est une ville commerçante de la rive nord du Rio Parana, face à la ville argentine de Posadas, accessible par un pont. Ville Far-South, c’est-à-dire mélangée. Place d’armes, par exemple, on trouvera un jardin japonais (les amoureux s’y adonnent au double selfie, « égoportrait » en québécois), un monument rendant hommage à la communauté ukrainienne, un autre à la communauté italienne, un autre encore à la massive immigration allemande qui constitue le fait historique marquant de cette région initialement occupée par les Indiens Guarani. Dans un coin, mieux éclairé que le reste de la place, une Bible sous vitrine vous invite à la relecture (toujours utile) de L’Ecclésiaste :
Vanidad ; vanidad de vanidades, todo vanidad.
¿Qué provecho tiene el hombre de todo su trabajo con que se afana debajo del sol ?
Sous le soleil ? Quel soleil ? Pour m’abriter, je bois un verre de bière à côté d’un vieux monsieur se désaltérant du même breuvage. Il écoute une radio allemande, posée sur sa table. Photo volée malgré ma légère inquiétude d’espion amateur ; il n’a pas précisément l’air commode. Je poursuis jusqu’au rio, à la plage abandonnée (bien que récemment aménagée). Au loin les lumières de Posadas clignotent pour rappeler l’existence du monde en dehors du périmètre suspendu que constitue la ville où je respire ce soir. Pas désagréable, d’ailleurs, la texture de l’air. Curieusement, je remarque que les rues sentent le bonbon. Je m’interroge là-dessus jusqu’au moment où, de retour à l’hôtel, j’aperçois les femmes de ménage composant des bouquets d’orchidées dans une chambre proche de la mienne. Elles arrondissent leur salaire de cette façon et me parfument par la même occasion.
J’ignore le score final de la rencontre de foot féminin à six, San Patricio de Posadas (Argentine) – Galactic de San Roque de Encarnación (Paraguay). Pendant qu’en France on se passionne pour l’affaire Benala, quelles sont les nouvelles en Amérique du Sud ? Ce matin, en prenant l’avion, j’ai appris par le journal La Nación la mort d’une girafe et d’un rhinocéros au zoo de Buenos Aires. On suspecte un virus et récrimine à la une contre l’incurie des services. À Encarnación, ce sont les frasques d’un homme nu dans la rue qui mettent en émoi la population. Une femme s’est arrêtée dans une échoppe et s’indigne. La télé, posée sur un réfrigérateur, passe en boucle les images du type, flouté au-dessous de la ceinture (qu’il ne porte pas, de toute façon), les bras en croix face aux policiers.
Il est temps pour moi de rentrer et d’enlever moi aussi mes oripeaux mouillés.
Para- Uru- mar-
Qui dira la portée du suffixe « guay » ?
Buvons un coup de Beurey-Bauguay -plutôt que de la bière- et la lumière jaillira, nous permettant de mieux comprendre l’Ecclésiaste. Santé !
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Toujours un album impeccable d’impressions en mots comme en images. Très beau journal de bord ! Ton périple de l’est sud américain et ta halte à l’Hôtel Germano m’ont rappelé une lecture récente et tout à fait documentée, passionnante et terrifiante aussi : « La disparition de Josef Mengele » d’Olivier Guez.
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Tu ne crois si bien dire, Patrick. Attends demain et tu verras ! ;))
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